Partager:
A l'heure où des scientifiques estiment que l'humanité a tellement transformé la planète que cela justifie l'entrée dans une époque géologique portant son nom, une autre question se pose: y a-t-il encore un endroit vierge de sa présence?
Gaz à effet de serre en hausse, micro-plastiques omniprésents, "polluants éternels", disparition d'espèces animales, des millions de téléphones mobiles au rebut: autant de preuves que le monde est entré dans l'Anthropocène, l'époque des humains, au milieu du XXe siècle.
Jan Zalasiewicz, géologue britannique qui a dirigé le groupe de travail sur l'Anthropocène, marque une pause lorsqu'on lui demande si un endroit du monde reste sans empreinte humaine.
"Difficile de trouver un endroit plus reculé" que le glacier de Pine Island en Antarctique, dit-il ensuite à l'AFP. Pourtant, en le forant en profondeur il y a quelques années, on y a trouvé des traces de plutonium: des retombées radioactives de tests nucléaires tenus à des milliers de kilomètres de là en 1945.
Pour M. Zalasiewicz, ces radionucléides représentent peut-être "le signal le plus clair" du début de l'Anthropocène. Même si "on ne manque pas de choix en la matière".
Mardi, son groupe de travail annoncera son choix du lieu portant le "clou d'or" ('golden spike"), le marqueur de référence d'une époque géologique. Mais il faudra encore attendre avant que la communauté mondiale des géologues officialise ce choix, qui marquerait la sortie de l'Holocène.
- Le poids de l'humanité -
Signe incontournable de ce bouleversement: la hausse rapide des émissions de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre qui réchauffent l'atmosphère de la planète.
Tout a changé "quand l'Homme a développé la technologie pour extraire du sol" ce qu'il appelle "l'énergie solaire fossilisée, sous la forme de pétrole, charbon et gaz", rappelle Jan Zalasiewicz.
L'humanité a consommé plus d'énergie depuis 1950 que dans les 11.700 années précédentes de l'Holocène. Une énergie qui a assuré une domination sans précédent sur la Terre, soutenant une croissance démographique exponentielle.
Les humains représentent aujourd'hui 34% de la biomasse (masse totale) de tous les mammifères terrestres, et leurs animaux d'élevage 62%, selon une estimation datant de 2018. Ce qui laisse seulement 4% d'animaux sauvages dans le vivant des terres émergées.
Les poulets d'élevage représentent à eux seuls deux tiers de la masse des volatiles de la planète, selon le géologue britannique.
Les humains ont aussi bouleversé les équilibres en introduisant des espèces invasives, comme les rats dans les îles les plus reculées du Pacifique.
- Techno-fossiles et polluants éternels -
Les chercheurs estiment que la masse de tous les objets fabriqués par les humains dépasse celle de tout le vivant sur Terre: des objets dits "techno-fossiles".
Comme les générations successives, et rapidement obsolètes, de téléphones mobiles qui "feront partie du bilan de l'Anthropocène".
Ou encore les micro-plastiques qu'on retrouve aujourd'hui jusque sur les pics les plus élevés et au fond des océans. Sans parler des substances chimiques comme les PFAS, développés pour les poêles anti-adhérentes et baptisés "polluants éternels", qui colonisent le globe.
La liste est presque sans fin, avec les pesticides, engrais, et même les squelettes humains enfouis dans le sol...
Ces traces seront autant de témoins informant, dans quelques centaines de milliers d'années, nos descendants, ou un visiteur de l'espace, sur ce qu'a été l'époque humaine.
Reste une question: que peut-il arriver ensuite?
"Une conséquence souhaitable de l'Anthropocène serait que l'humanité y ait répondu de façon positive", déclare Mark Williams, un paléontologue britannique du groupe de travail sur l'Anthropocène.
Car si cette époque n'enregistre pas encore d'extinction de masse, cette dernière "est parfaitement possible". "Nous sommes maintenant à la croisée des chemins", selon lui.
Reste-t-il un endroit qui ne porte pas la trace de l'humanité? Peut-être quelque part sous la glace de l'Antarctique.
Mais si rien ne change, même cette glace finira par fondre sous l'effet du réchauffement climatique, avertit Jan Zalasiewicz.