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Une vaste opération d'expulsion des orpailleurs du territoire Yanomami est en cours, mais le Brésil "manque de moyens" pour lutter contre le trafic d'or extrait illégalement, reconnaît dans un entretien à l'AFP la nouvelle présidente de l'organe de protection des peuples indigènes.
A 49 ans, Joenia Wapichama est devenue en février la première femme autochtone à présider la Fondation Nationale des peuples Indigènes (Funai). Celle-ci joue un rôle-clef pour délimiter les terres qui leur sont réservées, puis les surveiller et les protéger contre les intrusions qui ont fortement augmenté sous le mandat de l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022).
Nommée par le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, cette femme à la longue chevelure noire souvent ornée de couronnes de plumes est une pionnière à plusieurs titres. Elle a été également la première indigène avocate au barreau brésilien et la première élue députée, en 2018.
A la tête de la Funai, elle doit gérer une grave crise humanitaire dans la réserve des Yanomami, la plus grande du Brésil, frappée par des maladies et une dénutrition avancée. Des données officielles font état de la mort en 2022 d'une centaine d'enfants de moins de cinq ans.
En cause, la présence massive d'orpailleurs qui détruisent la forêt amazonienne, polluent des fleuves au mercure, et sont également accusés de violences contre les indigènes.
Le gouvernement Lula a ordonné l'ouverture d'une enquête pour "génocide" et a lancé le mois dernier une opération mobilisant l'armée pour déloger les "garimpeiros", ces hommes qui travaillent dans les mines d'or illégales.
La prochaine étape après cette opération qui pourrait s'étendre sur plusieurs mois est "de maintenir une surveillance continue et renforcer les bases de la Funai" dans ce territoire grand comme le Portugal situé dans son Etat natal de Roraima (nord), à la frontière avec le Venezuela, explique Joenia Wapichama.
- "Trop fragile" -
Dans ce pays aux dimensions continentales, au moins 30% de l'or a été extrait illégalement de janvier 2021 à juin 2022, selon une étude de l'Université fédérale du Minas Gerais (UFMG).
"Le Brésil n'a pas encore les moyens d'empêcher le trafic d'or illégal", admet Mme Wapichama, estimant que le système mis en place pour le combattre est encore "trop fragile".
D'autant que le budget de la Funai est largement insuffisant, selon elle: le Congrès a approuvé des fonds de 600 millions de réais (environ 111 millions d'euros) pour l'année 2023, mais l'organisme doit faire face à des frais administratifs et de personnel importants.
Seul un sixième de ce montant peut être utilisé pour des missions fondamentales comme la délimitation de nouvelles terres indigènes ou la surveillance des réserves déjà existantes.
Pour fonctionner pleinement, la Funai aurait besoin d'un budget au moins deux fois supérieur, indique-t-elle.
Mme Wapichama espère pouvoir gonfler ce budget grâce au Fonds Amazonie, abondé notamment par la Norvège et l'Allemagne, et réactivé cette année après son gel en 2019 en raison des polémiques sur l'environnement sous le mandat de Jair Bolsonaro.
"La contribution des peuples indigènes dans le combat contre les effets du changement climatique doit être rétribuée", réclame-t-elle, rappelant que les autochtones sont souvent les premiers remparts contre la déforestation.
- "Résistante" -
Selon le dernier recensement, datant de 2010, quelque 800.000 indigènes vivent au Brésil, la plupart dans des réserves qui occupent 13,75% du territoire.
Joenia Wapichama s'est donnée pour "mission" de remettre la Funai sur pied après la présidence de Jair Bolsonaro, qui a tenu sa promesse de "ne pas céder un centimètre de plus" aux terres indigènes.
"Il a encouragé les intrusions dans ces territoires, et les indigènes ont été privés de leurs droits et persécutés", dénonce l'ancienne députée, qui se voit comme une "résistante".
Ses prédécesseurs nommés par Jair Bolsonaro étaient des hommes sans expérience dans les questions indigènes, un militaire, puis en policier.
"Nous faisons aussi partie de ce pays. Nous voulons être traités sur un pied d'égalité", conclut-elle.