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Les ministres européens de l'Energie ont affiché mardi leurs vives divergences sur la reconnaissance du nucléaire comme moyen de production d'hydrogène décarboné, Paris musclant son offensive en faveur de l'atome civil tandis que Vienne réunissait ses détracteurs.
Avant une réunion des ministres des Vingt-Sept à Bruxelles, la ministre française Agnès Pannier-Runacher a rassemblé autour d'elle les représentants de douze autres Etats membres pour défendre le nucléaire et doper les coopérations industrielles dans le secteur.
Inaugurée fin février à Stockholm, cette "alliance du nucléaire civil" a réuni mardi dix pays (France, Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie), auxquels s'ajoutent Belgique, Italie et Pays-Bas en tant qu'"observateurs".
"Les participants (...) ont pleinement reconnu que le nucléaire", source d'énergie décarbonée, "est une technologie stratégique pour l'atteinte de la neutralité climatique", selon un communiqué conjoint.
"L'enjeu n'est pas d'opposer le nucléaire aux renouvelables" mais "de considérer tous les leviers qui peuvent permettre de baisser nos émissions", a expliqué Mme Pannier-Runacher. "Comme solution de décarbonation (...) et pour avoir une électricité compétitive qui soutienne notre tissu industriel, le nucléaire a un rôle important à jouer".
Parallèlement, la ministre autrichienne de l'Energie, Leonore Gewessler, a rassemblé mardi matin ses homologues de dix Etats (Belgique, Estonie, Espagne, Allemagne, Danemark, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Luxembourg, Lettonie) pour discuter du "déploiement des renouvelables". La majorité de ces pays contestent que l'atome civil puisse être traité de la même façon que les technologies "vertes".
- "Neutralité" -
La France plaide pour adopter une "neutralité technologique" laissant les Etats libres de choisir les moyens d'atteindre les objectifs climatiques. "C'est extrêmement important pour nous aider à exploiter toutes les options dans nos efforts de décarbonation", a déclaré le ministre tchèque Jozef Sikela.
Le plan dévoilé mi-mars par la Commission européenne pour doper les industries vertes a alarmé Paris, en mentionnant le nucléaire mais sans lui accorder les avantages réglementaires et financiers consentis aux renouvelables.
Dans l'immédiat, les ministres doivent adopter mardi leur position sur une législation destinée à adapter les réseaux gaziers à l'essor de l'hydrogène et du biométhane.
Les négociateurs du Conseil (Etats membres) et du Parlement européen doivent par ailleurs finaliser mercredi une ambitieuse loi sur les énergies renouvelables. Ce texte prévoit des objectifs d'hydrogène "renouvelable" à atteindre dans les transports et l'industrie. La France et ses alliés réclament un traitement égal entre hydrogène renouvelable et hydrogène "bas-carbone" produit avec de l'électricité d'origine nucléaire.
Une ligne rouge pour au moins sept pays (Allemagne, Autriche, Danemark, Irlande, Luxembourg, Portugal, Espagne): ils avaient réclamé mi-mars dans une lettre commune que "la production et l'usage d'hydrogène et carburants bas-carbone ne soient pas encouragés via une loi visant à promouvoir les énergies renouvelables". Au risque de "ralentir les investissements dans de nouvelles capacités de renouvelables", prévenaient-ils.
"Nous avons clairement indiqué qu'il existe une directive sur les renouvelables, un texte pour les énergies renouvelables" seulement, a indiqué mardi Mme Gewessler, à l'issue de la réunion qu'elle organisait.
"Nous pouvons essayer de trouver une solution pour les Français, mais le nucléaire n'est pas vert, désolé!", s'est exclamée son homologue espagnole Teresa Ribera.
"Il faut entre 12 et 18 ans pour construire une nouvelle centrale nucléaire (...) Ces sommes colossales doivent être investies dès maintenant dans le solaire et l'éolien pour que nous ayons une chance dans le combat climatique", a renchéri le Luxembourgeois Claude Turmes.
- "Equilibre" -
"Une minorité d'États demande que l'énergie nucléaire soit prise en compte, une autre est catégoriquement contre: ces deux minorités se bloquent mutuellement", empêchant tout accord sur ce texte, s'alarme un diplomate.
Pour la ministre suédoise Ebba Busch, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE, un accord des ministres mardi sur le projet de législation gazière "pourrait ouvrir la voie" à un compromis entre Conseil et Parlement sur les renouvelables.
"C'est un équilibre difficile (...) mais si nous ne respectons pas le fait que différents États membres choisissent différents mix énergétiques, nous prolongerons très probablement notre dépendance vis-à-vis des sources fossiles", a-t-elle commenté.
"Il y a eu des avancées récentes, elles vont dans le bon sens. Je pense qu'il faut aller encore plus loin (...) pour avoir un texte équilibré", a déclaré Mme Pannier-Runacher.