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L'Allemagne suscite le malaise à Bruxelles en bloquant un texte clé du plan climat de l'UE sur les émissions de CO2 des voitures qu'elle avait pourtant déjà approuvé, prenant en otage ses partenaires européens pour des questions de politique intérieure.
Le vote des 27 Etats membres prévu mardi pour entériner l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique en 2035 devait être une formalité.
Il a été reporté sine die, l'abstention annoncée de Berlin empêchant de réunir la majorité nécessaire.
Ce texte, qui imposera de fait les motorisations 100% électriques, a fait l'objet en octobre d'un accord entre Etats membres et négociateurs du Parlement européen, et a été formellement approuvé mi-février par les eurodéputés réunis en plénière. Il ne peut plus être modifié.
Pour justifier son volte-face, rarissime à ce stade de la procédure, l'Allemagne a réclamé de la Commission européenne qu'elle présente une proposition ouvrant la voie aux véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse, y compris après 2035.
Cette technologie, encore en développement, consisterait à produire du fuel à partir de CO2 issu notamment des activités industrielles en utilisant de l'électricité bas-carbone. Défendue notamment par des constructeurs haut de gamme allemands, elle permettrait de prolonger l'utilisation de moteurs thermiques.
La Commission veut absolument sauver le texte sur la réduction des émissions de CO2 dans l'automobile, une condition pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. Mise au pied du mur, elle a annoncé "travailler de façon constructive" avec Berlin pour le faire adopter "rapidement".
Elle n'a cependant pas précisé quel type d'engagement elle pourrait donner alors que ce texte, qui promeut la "neutralité technologique", prévoit déjà un possible feu vert accordé à l'avenir aux carburants de synthèse s'ils permettent d'atteindre l'objectif de "zéro émission" de CO2.
- "Nombrilisme" allemand -
L'eurodéputé Pascal Canfin (Renew, libéraux), rapporteur du projet au Parlement, dénonce un "chantage" qui, s'il est imité par d'autres Etats, menacera tous les autres textes du "Pacte vert".
"C'est l'esprit même de la construction européenne qui est en danger à travers cette position incompréhensible", déplore-t-il.
"Seul un grand pays de l'UE peut se permettre" un tel comportement, peste un diplomate en poste à Bruxelles, sous couvert d'anonymat.
Trois autres pays - Bulgarie, Italie et Pologne - n'étaient pas favorables à ce texte emblématique, mais ils avaient, eux, exprimé leur opposition dès le départ.
"L'Allemagne se permet de revenir sur des mois de négociations (...), c'est une remise en cause des processus décisionnels de l'UE comme on en voit rarement", souligne Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman, un centre de réflexion européen.
Il regrette le "nombrilisme" du gouvernement allemand, dont les dysfonctionnements entre sociaux-démocrates (SPD), Verts et libéraux, s'étalent à Bruxelles "au détriment des autres pays et du bon fonctionnement de l'UE".
Le blocage de Berlin est une initiative des libéraux du FDP.
Ce petit parti, crédité d'environ 5% des intentions de vote dans les sondages nationaux, a perdu cinq élections régionales consécutives. Il espère s'affirmer face aux écologistes en se posant en défenseur de l'automobile, pariant sur l'hostilité d'une grande partie de la population à l'interdiction des moteurs thermiques.
Pour assurer l'unité de sa coalition, le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, a préféré s'aligner, reprenant à son compte la demande d'une proposition de la Commission sur les carburants de synthèse.
Ces carburants sont contestés par des ONG environnementales qui les jugent coûteux, fortement consommateurs en électricité pour leur production, et polluants, car ils ne suppriment pas les émissions d'oxydes d'azote (NOx).
L'industrie a de son côté largement anticipé la réglementation européenne et investi massivement dans les véhicules électriques.
Même s'ils font leur preuve, les carburants de synthèse, qui n'existent pas aujourd'hui, "ne joueront pas de rôle important à moyen terme dans le segment des voitures particulières", a déclaré Markus Duesmann, le patron d'Audi (groupe Volkswagen), à l'hebdomadaire Spiegel.