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Le droit européen doit-il s'imposer systématiquement au droit français ? L'audience vendredi à Lyon sur le sort du militant altermondialiste Vincenzo Vecchi, réclamé par l'Italie après sa lourde condamnation pour violences lors du G8 de Gênes en 2001, a mis en lumière deux approches opposées sur ce dossier sensible.
Pour l'avocat général près la cour d'appel, David Aumonier, pas d'hésitation: "la primauté du droit communautaire" s'impose, et la décision récente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) "s'applique". Il soutiendra par conséquent "toujours avec force et vigueur la remise de M. Vecchi" aux autorités italiennes.
L'un des deux conseils du militant italien, Catherine Glon, a, elle, privilégié une lecture "radicalement différente": il appartient aux juges du fond de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon de "décider du droit" et de "résister" à la CJUE.
Dans un avis du 14 juillet 2022, cette dernière, sollicitée par la Cour de cassation, avait en effet donné une nouvelle tournure aux débats, déjà menés devant les cours d'appel de Rennes et d'Angers, estimant qu'il n'était pas exigé de "correspondance parfaite" entre les droits italien et français pour que soit validé le mandat d'arrêt européen émis par Rome en 2016 à l'encontre de M. Vecchi.
Comparaissant libre à l'audience vendredi, avant laquelle environ 120 personnes lui avait apporté son soutien, M. Vecchi, 49 ans, a été condamné définitivement en Italie à 10 ans de prison pour des faits de violence lors des manifestations anti-G8 à Gênes en juillet 2001.
Pour justifier cette lourde peine, la justice italienne a recouru au délit de "dévastation et pillage", instauré sous Mussolini, mais qui n'a aucune équivalence en France. Sauf à remonter à 1830, a expliqué l'autre avocat de M. Vecchi, Maxime Tessier, allant remettre en cours d'audience un exemplaire élimé du code pénal de cette année-là, où la notion de "dévastation" était alors passible de peine de mort.
- "Le monde à l'envers" -
En Italie, cette incrimination de "dévastation et pillage" permet de condamner pour "complicité" la participation à un trouble majeur à l'ordre public par un simple "concours moral". Autrement dit, la simple présence "à proximité" des lieux de violences suffit aux poursuites, "alors qu'en France on ne peut être responsable que des faits que l'on a commis, c'est un principe fondamental !", a lancé Me Glon.
"C'est le monde à l'envers!", a-t-elle appuyé, reprochant à la justice italienne de ne pas "avoir séquencé les faits".
Mais aux yeux de l'avocat général, "cinq des sept faits reprochés à M. Vecchi sont bien qualifiables en droit français" et la question de la proportionnalité de la peine ne se pose pas. Sont visés notamment la participation à l'assaut d'une banque, la destruction d'une voiture ou encore le vol de planches d'un chantier pour créer une barricade. Ces manifestations avaient été durement réprimés par la police, qui avait tué un jeune homme.
La défense de M. Vecchi a aussi insisté sur la notion de "proportionnalité de la peine", dans une allusion déjà établie jeudi par l'ancienne magistrate et députée européenne Eva Joly. En soutien à M. Vecchi, elle avait ainsi rappelé que, lors du saccage de l'Arc de Triomphe par les "Gilets jaunes", la condamnation la plus lourde a été de huit mois avec sursis.
Autre argument avancé : l'atteinte disproportionné à la vie privée et familiale de M. Vecchi.
Salarié et associé - "c'est dire son implication" - dans une coopérative de maison à ossature bois et paille du Morbihan, il est "enraciné". "Il a reconstruit sa vie", dans une famille "recomposée, certes, mais dans une famille", est impliquée dans la vie associative, a fait valoir Me Tessier. Et d'évoquer le cas récent d'anciens militants italiens réclamés par l'Italie pour des faits de terrorisme lors des "années de plomb", demande que la chambre de l'instruction de Paris a rejetée en juin 2022 précisément "au nom du respect du droit à la vie privée et familiale". Et dans cette affaire, "on parle de meurtres...".
"Vous avez un choix moral à faire. Je ne voudrais pas être à votre place. J'ai toujours assumé ce que j'ai fait, je suis fier de moi", a conclu M. Vecchi à l'adresse de la cour.
Délibéré le 24 mars.