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Au Canard enchaîné, la crise tourne à l'amer

La crise au Canard enchaîné s'aggrave: le journaliste Christophe Nobili, qui a révélé des soupçons d'emploi fictif au sein de l'hebdomadaire satirique, pourrait être licencié, mesure contre laquelle proteste une partie de la rédaction.

"Le comité d'administration du +Canard+ vient de prendre – à l'unanimité - une décision difficile. Une procédure pouvant conduire à un licenciement a été engagée à l'encontre de Christophe Nobili", est-il écrit dans un courriel interne envoyé aux salariés dimanche soir par un membre du CA.

M. Nobili a déploré, dans un entretien à l'AFP, la "violence inouïe" de cette procédure: "On m'interdit d'accès à mon bureau, on me prive de salaire; en général, c'est quand un ouvrier brûle son usine qu'on fait ça".

Contacté par l'AFP, le directeur général délégué du Canard, Nicolas Brimo, n'a pas souhaité s'exprimer, faisant valoir que la procédure le lui interdisait.

Cet épisode marque une nouvelle étape dans la crise qui secoue depuis plusieurs mois cet hebdo centenaire. Titre emblématique, voire patrimonial, de la presse française, il est aussi célèbre pour ses calembours et ses caricatures que pour les nombreux scandales politiques et économiques qu'il a révélés.

- Plainte et enquête -

Courant 2022, M. Nobili avait dénoncé le fait que la compagne d'un ancien dessinateur et administrateur du Canard, André Escaro, ait bénéficié pendant 25 ans d'une rémunération du journal sans y avoir travaillé.

Il avait déposé en mai une plainte contre X et une enquête pour "abus de biens sociaux" et "recel d'abus de biens sociaux" avait été ouverte.

Le 8 mars, il a sorti le livre "Cher Canard" (JCLattès), dans lequel il revient sur cette affaire qui a révélé des fractures au sein de la rédaction, sur fond de conflit entre générations.

"Nous avons adressé à Christophe Nobili une lettre de convocation à un entretien préalable et avons décidé de le mettre à pied à titre conservatoire", est-il précisé dans le courriel interne dévoilé par Libération dimanche soir et consulté par l'AFP lundi.

"Cette décision a été prise après la parution de son livre, et ses multiples déclarations à la presse et dans les autres médias", poursuivent les administrateurs.

M. Nobili a précisé à l'AFP que son entretien préalable aurait lieu vendredi. Il est l'un des journalistes à l'origine des révélations sur les soupçons d'emploi fictif concernant l'épouse de François Fillon, Penelope Fillon, pendant la campagne présidentielle 2017.

- "Bolloré" -

Ce projet de licenciement a été dénoncé par 27 membres de la rédaction dans une lettre interne lundi.

"Quelles que soient les réserves que chacune et chacun, au sein du journal, peut avoir à propos de l'ouvrage +Cher Canard+ (...), nous, salariés du Canard enchaîné, estimons que ce projet de licenciement constitue une sanction totalement disproportionnée", écrivent-ils.

"Ce projet de licenciement a (...) été décidé au mépris du statut doublement protégé de Christophe Nobili, comme délégué syndical, membre du CSE et lanceur d'alerte", poursuivent les signataires.

"Ce n'est pas pour avoir lancé une alerte qu'il se fait virer mais pour avoir publié un livre pour lequel il a espionné la rédaction", a assuré, à l'inverse, à l'AFP un journaliste non-signataire de ce texte.

Pour lui, cet ouvrage s'inscrit dans le cadre d'une "lutte de pouvoir" pour la tête du journal et entraîne un "manque de confiance" envers son auteur.

"Le +Canard+ se prendrait-il pour Bolloré?", le milliardaire régulièrement accusé d'écarter des journalistes dans les médias qu'il contrôle, a pour sa part tonné le syndicat de journalistes SNJ-CGT. M. Nobili est son délégué syndical au sein de l'hebdo marqué à gauche.

En août, quand l'affaire avait éclaté publiquement, le comité d'administration du Canard avait contesté le terme d'emploi fictif au sujet de l'épouse d'André Escaro, tout en concédant le caractère "acrobatique" de ce montage.

Statutairement à la retraite, M. Escaro a continué à dessiner pour le Canard jusqu'en juin dernier mais la rémunération était touchée par sa femme, qui l'épaulait, avaient fait valoir les administrateurs.

Selon M. Nobili, cet argumentaire est marqué par "le déni" et est contradictoire avec "les valeurs qu'on défend, les leçons qu'on donne en permanence aux autres".

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