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République dominicaine: des expulsions impopulaires pour construire le mur anti-immigration

Un planche portant l'inscription rouge "MF 011-5" traîne par terre, là où il y a quelques mois s'érigeait la maison de Leocadio Guzman, rasée pour faire place au mur anti-immigration en cours de construction entre la République dominicaine et son voisin, bien plus pauvre, Haïti.

"MF" comme "mur frontalier", pensent les habitants. Celui que le président dominicain Luis Abinader a lancé en grande pompe en février 2022: une clôture de béton de 160 km le long des 380 km de frontière entre les deux pays.

Elu en 2020 sur un programme de lutte contre l'immigration clandestine, il assure que ce projet va stopper le flux de migrants indésirables et protéger le pays des gangs haïtiens à l'influence grandissante.

La République dominicaine accueille quelque 500.000 Haïtiens à la recherche de meilleures conditions de vie dans ce pays bien plus prospère et expulse régulièrement des milliers de clandestins (171.000 en 2022). Les relations entre les deux voisins de l'île d'Hispaniola sont tendues.

Une partie du bidonville de La Mara, dans la province frontalière de Dajabon, au nord-ouest du pays, a été détruite il y a trois mois par des bulldozers qui ont laissé des restes de fondations en béton, quelques planches et tôles.

Une trentaine de familles ont été expulsées. Une cinquantaine d'autres semblent promises au même sort dans la province voisine de Monte Cristi. Leurs maisons sont marquées du sceau "MF" rouge. Le gouvernement a déclaré ces propriétés d'utilité publique.

- Pas "suffisant" -

Le ministère de la Défense, responsable des travaux, a annoncé en novembre le versement de 79 millions de pesos (1,4 million de dollars) en compensation de ces expropriations et expulsions.

Mais parmi les déplacés, une plainte revient comme une litanie: l'indemnisation est trop faible.

"L'argent qu'ils m'ont donné n'est pas suffisant", s'insurge Lidna Dorfinis, 38 ans, une habitante haïtienne de La Mara, portant une fillette d'un an dans les bras. "Les autorités n'ont apporté aucun soutien (en plus de l'indemnisation) et maintenant je vis seule", ajoute-t-elle en créole.

Elle a reçu 250.000 pesos (4.500 dollars), ce qui est à peine suffisant pour acheter un terrain sans maison. Dans l'impossibilité financière de faire construire, elle paie désormais un loyer de 60 dollars par mois. Une somme considérable pour elle.

Leocadio, qui lui est Dominicain, a reçu moins d'argent, environ 4.200 dollars mais s'en est mieux sorti car il avait anticipé les événements.

L'année dernière, il avait entendu "la rumeur" selon laquelle le gouvernement allait démolir des maisons près de la rivière du Massacre - la frontière naturelle - et avait commencé à construire une nouvelle maison sur un terrain à proximité.

"J'ai au moins un endroit où poser ma tête", se console-t-il aujourd'hui.

Le maire de Dajabon, Santiago Riveron, assure que les autorités ont fait ce qu'il fallait: "ça n'a pas été traumatisant", affirme-t-il car il y a eu des négociations entre l'Etat et les expropriés.

Leocadio, 41 ans, qui avait emménagé dans la maison avec sa femme enceinte, voit les choses différemment, jugeant la négociation "inégale", dans laquelle les habitants avaient "tout à perdre".

"Je n'étais pas très satisfait mais j'ai dû accepter", dit-il au milieu des poules dans sa nouvelle maison.

À proximité, sur les murs roses de la maison de Quisqueya Estevez, 36 ans, une inscription rouge "MF-032". La maison est encore debout mais seulement en partie. Celle où se trouvait la salle de bain a cédé après un glissement de terrain provoqué par les travaux de construction du mur. Elle dit ne pas avoir été indemnisée et devoir faire ses "besoins dans un seau". "Je me sens très mal", se désole-t-elle.

Dans le secteur ouvrier de Pepillo Salcedo, à Monte Cristi, de nombreuses maisons sont aussi condamnées à la destruction.

Plus élaborées et donc plus chères que celles de La Mara, l'Etat propose des indemnités sept fois plus élevées. Mais là également le mécontentement gronde.

"S'ils veulent se débarrasser de nous, qu'ils le fassent pour quelque chose de valable. Sinon, qu'ils nous laissent tranquille", proteste Dominga, 41 ans, qui vit là avec sa mère de 72 ans et deux adolescents. "Je suis arrivée ici bébé. Je rampais. Repartir à zéro sera très difficile".

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