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A 73 ans, Philippe Petit a encore la tête dans les étoiles. Dans une veste en queue-de-pie, l'artiste funambule français est perché là-haut, au-dessus d'un parterre de gala à Washington, marche sur le fil et, quelque part, pense à l'après, quand il sera arrivé de l'autre côté.
Presque 50 ans après l'exploit qui l'a fait connaître – évoluer sur un fil tendu entre les tours jumelles de New York, à 416 mètres de hauteur –, l'homme bourré d'énergie tient toujours dans sa poche une courte ficelle rouge.
"Parfois, je m'arrête et je dis: +Ca serait bien de mettre un câble là+", disait-il plus tôt à l'AFP en la tendant à bout de bras, son regard tourné vers le haut. "Cette petite corde, pour moi, elle m'aide à rêver à des traversées". Toujours dans le vide, sans sécurité.
Jeudi soir, sous les yeux de 300 personnes, l'élégant acrobate évolue avec grâce sur son câble à 15 mètres du sol, jouant d'une scène exceptionnelle: le National Building Museum et son hall fastueux, immense.
M. Petit, de blanc vêtu, la houppette qui dépasse, s'assoie, s'allonge, prend son temps, multiplie les allers-retours.
Sur le fil, il est chez lui.
Les jeux de lumières, Anat Cohen à la clarinette, Tal Mashiach à la guitare, la magie prend forme. Les regards sont tirés vers le ciel, vers ce petit homme qui dompte la peur pour cette soirée de levée de fonds dans la capitale des Etats-Unis, pays où il réside depuis des décennies.
- "Vie de passion" -
Mardi, en chemise orange et bretelles rouges, il fignolait son installation, ajustait son balancier. A un pas de l'ancrage du lourd câble, un épais carnet: ses centaines d'instructions détaillées et de croquis, des années de travail pour rendre cette installation possible – et ce n'est pas la dernière.
"Je ne prendrai jamais ma retraite", affirme l'équilibriste aux cheveux blonds vénitiens. "J'ai dans mes manches plein de projets", stockés dans une boîte sous son lit, chez lui dans l'Etat de New York. "Il y a des lieux extraordinaires, des lieux naturels, des abysses, des canyons, des icebergs, et il y a aussi des +buildings+ incroyables."
Dès l'enfance, "j'ai commencé à ne pas suivre le mouvement de l'autorité". Il grimpe partout, sur les chaises de la cuisine, dans les arbres, apprivoise la verticalité, "et puis un beau jour, tout naturellement, j'ai mis une corde entre deux arbres".
Un film, "The Walk" avec l'acteur Joseph Gordon-Levitt, et un documentaire ("Le Funambule", "Man on Wire"), racontent son épopée illégale dans le ciel de New York en 1974, sous les yeux écarquillés de la foule et des policiers.
Lassé d'être réduit à ces quelques minutes de son existence, il se projette toujours ailleurs, dans sa "vie de passion". "Deux spectacles ne sont jamais les mêmes (...), c'est à chaque fois une aventure où j'apprends, où je découvre," dit-il devant les poutres de bois, poulies et dynamomètre qui ont soutenu sa déambulation aérienne de jeudi soir.
- Majesté -
Et puis, dit-il comme un vieux sage, "avec mes 50-55 ans d'expérience, je suis plus en contrôle".
Une chose, peut-être, l'agace: la slackline, pratique récente issue du milieu montagnard où le câble de métal est remplacé par une sangle plate de quelques centimètres de large, tendue dans un jardin ou entre deux montagnes.
"C'est un passe-temps pour les dimanches, c'est génial", lance-t-il, acerbe. "Cela n'a aucune élégance, aucun art, aucune pensée, aucune poésie, aucune humanité." "C'est un super sport", poursuit-il, "un autre monde que celui de la majesté et de la beauté de jouer sa vie sur un fil".
Jeudi soir, pour achever son spectacle, Philippe Petit a joué sa vie dans le noir, un fin rayon de lumière éclairant uniquement sa ligne au-dessus de la foule. Sur son balancier blanc, il porte huit longues bougies.