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Le "racisme ordinaire" est une notion qui revient sur le devant de l'actualité après que Pierre-Yves Jeholet (MR) a lancé à Nabil Boukili (PTB) qu'il n'était "pas obligé de rester en Belgique" durant un débat sur RTL tvi.
Les propos de Pierre-Yves Jeholet sur le plateau de Rendez-vous, dimanche 2 juin, ont fait sauter de leur chaise beaucoup de monde. Pour Patrick Charlier, directeur d’Unia (ex-Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme), les propos du ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’apparentent à du "racisme ordinaire".
Pour rappel, le membre du Mouvement Réformateur (MR) avait lancé à Nabil Boukili (PTB), lors d’un sujet sur le port de signes convictionnels, "vous n'allez pas venir nous donner des leçons ici en Belgique. Il y a des règles, on les respecte. Si ça ne vous plaît pas, vous n'êtes pas obligé de rester en Belgique".
Un ensemble de micro-agressions
Patrick Charlier parle donc de "racisme ordinaire", mais qu’est-ce réellement ? Et surtout, en quoi est-ce différent du racisme ?
Maboula Soumahoro, chercheuse et maître de conférences à l’Université de Tours, le définit comme "un ensemble de micro-agressions qui sont presque systématiques, très communes, très fréquentes et que les gens subissent tous les jours. Ça peut être des réflexions sur les noms, les prénoms, sur les origines, sur la façon, sur la façon de s’habiller ou de se coiffer… Toutes ces petites remarques qui placent la personne ciblée à l’extérieur de la communauté. C’est ça le racisme ordinaire et il est bien plus présent, bien plus pesant que ce grand racisme que nous nous accordons tous à dénoncer."
"Quand on parle de racisme, on en parle toujours comme d’un défaut. Or, il faudrait plutôt approcher la notion comme une maladie dont il faudrait guérir", ajoute encore l’auteure de l’ouvrage "Le Triangle et l’Hexagone – Réflexion sur une identité noire".
Avec l'aide d'Amnesty International Belgique et du Mouvement Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), nous avons établi une liste non-exhaustive de quelques comportements et réflexions qui peuvent être considérés comme étant du racisme ordinaire :
- Avoir des préjugés
"Le préjugé est d’abord un jugement, une conviction produite par un individu ou un groupe avant même de disposer de la connaissance nécessaire pour se faire une opinion ou une idée en la matière", définit Jérôme Jamin, professeur de science politique à l'Université de Liège. "Le préjugé s’appuie sur une observation biaisée de la réalité, il repose notamment sur la construction de stéréotypes. Les stéréotypes, quant à eux, sont des catégorisations négatives au sujet de certains individus ou de certains groupes", poursuit-il.
Ils reprennent les idées reçues : les Asiatiques sont forts en maths, les Noirs sentent fort, les gens du voyage sont des voleurs...
- "Tu viens d'où ?"
Cette question, et d'autres bien entendu, même si elle est posée sans aucune mauvaise intention, porte une connotation. "La manière de poser la question change tout", souligne Carine Thibaut, la présidente d'Amnesty International Belgique Francophone.
Demander d'où vient la personne sous-entend qu'elle ne vient pas d'ici. "Il vaut mieux demander : 'Est-ce que tu as aussi grandi à Bruxelles ?' plutôt que : 'Où tu es né ?'", ajoute Carine Thibaut. "Cela laisse la porte ouverte à la personne interrogée de parler de l'histoire de ses origines, mais tout le monde n'a pas forcément envie de parler de son histoire".
- Une question de gestuelle
Votre comportement peut, lui aussi, transmettre un certain racisme ordinaire. "Imaginez qu'un jeune homme de couleur s'assoie à côté de quelqu'un dans le bus et que cette personne commence à tenir son sac plus fort. Le réflexe aurait été probablement différent si le jeune avait été une femme plus âgée", image encore Carine Thibaut.
- "Je ne suis pas raciste, mais..."
Arrêtez d'utiliser cette phrase, elle n'aide en rien à vous justifier. Elle précède souvent une généralisation ou un stéréotype raciste. Elle révèle des préjugés implicites et tente de les excuser en les présentant comme des observations légitimes. C’est une manière de préparer le terrain pour une remarque raciste en tentant de se dédouaner de tout préjugé.
- "J'ai des amis noirs, je ne peux pas être raciste"
C'est un peu le même acabit que la citation précédente. Avoir donc des amis noirs ne garantit pas l'absence de comportements ou de préjugés racistes. Le racisme peut être subtil, systémique et inconscient, et cette phrase ignore ces aspects complexes. Cette expression empêche toute réflexion critique ou auto-évaluation des comportements potentiellement racistes en instrumentalisant ses relations.
- "Elle est jolie pour une ... (groupe ethnique)"
Même si l'intention d'une remarque peut être bonne, pour un compliment par exemple, il convient de faire attention aux mots employés. En disant qu'une personne est jolie "pour" son groupe ethnique, la phrase perpétue un stéréotype qui associe la beauté à certains groupes plus qu'à d'autres. Cela renforce des préjugés sur l'apparence des gens basés sur leur origine ethnique. La phrase sous-entend que, dans l'ensemble, les membres de ce groupe ethnique sont moins beaux, ce qui est dévalorisant et offensant.
- "Ce n'est pas du racisme, c'est une question de culture"
La phrase cherche à minimiser ou à nier les accusations de racisme en les requalifiant en différences culturelles. En masquant les préjugés derrière des différences culturelles, cette phrase justifie des attitudes discriminatoires et ignore que ces différences sont souvent utilisées pour légitimer le racisme. C'est une façon de rationaliser des attitudes discriminatoires sans les confronter. En utilisant la "culture" comme justification pour des attitudes discriminatoires, la phrase peut dévaloriser les cultures concernées et renforcer des hiérarchies culturelles implicites où certaines cultures sont considérées comme supérieures à d'autres.
Comment y remédier ?
Si certaines remarques ou expressions peuvent être volontairement incisives, comme celle de Pierre-Yves Jeholet, d'autres réflexions, intentionnelles celles-ci, peuvent être -au mieux- pesantes.
"Il est important de bien reformuler ses phrases. Parfois, c'est un problème de vocabulaire ou de formulation", recommande Esther Kouablan du MRAX. "Il est nécessaire de créer une sorte d'éveil à cette sensibilité".
"Si je peux donner un conseil aux personnes blanches, c'est d'accepter d'être honnêtes", prône de son côté Maboula Soumahoro. "Être honnête et accepter cette prise de conscience qui sera nécessairement douloureuse. C'est comme aller chez un psy. On ne peut rien régler sans avoir une prise de conscience, et cette prise de conscience est difficile."
"Ensuite, les personnes peuvent s'éduquer et se renseigner", ajoute la chercheuse et maîtresse de conférences à l’Université de Tours. En Belgique, comme ailleurs, il existe plusieurs associations de terrain qui œuvrent en ce sens pour sensibiliser le public et pour apporter un soutien aux personnes victimes de racisme.