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Lorsque des enfants sont considérés comme étant en difficulté ou en danger, ils sont pris en charge par l’aide à la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais, certains se retrouvent placés... à l’hôpital. Ils y restent parfois des mois. Comment expliquer une pareille situation ?
Ne pas être malade, mais se retrouver coincé à l'hôpital. Dans l'établissement bruxellois où nous nous sommes rendus, une petite fille vient d'en faire l'expérience, retirée de sa famille dès sa naissance. "Ici, on est dans la chambre où était hospitalisé notre bébé placé", nous montre Nancy Vitali, cheffe du service de pédiatrie de l'hôpital Etterbeek-Ixelles. "Elle est née ici et le service d'aide à la jeunesse a jugé que sa maman n'était pas capable d'assurer ses soins".
Elle vient tout juste de trouver une famille d'accueil, mais après avoir passé deux mois dans une chambre d'hôpital. "Ça fait un peu mal au cœur comme situation ?", lui demande-t-on. "Bien sûr, oui", répond Nancy Vitali. "On se réconforte en se disant que c'est le meilleur qu'on puisse lui proposer, mais on sait que ce n'est pas idéal".

Des enfants maltraités, victimes de négligence, en danger dans leur famille, placés par un juge à l'hôpital, faute de solutions ailleurs. Ce service de pédiatrie en a accueilli une trentaine l'an dernier, parfois quelques jours, mais pour certains durant des semaines ou des mois. "C'est des situations qui ne sont pas faciles, qu'ils soient petits ou grands. Les petits, en général, passent beaucoup de temps avec l'équipe, vraiment très très proches. Et les grands, il y a deux cas de figure. Soit ils sont très proches du personnel, soit ils sont très isolés dans leur chambre. Et parfois, il n'y a pas de contact possible avec la famille, les amis, etc. Donc ça, ce n'est pas facile", explique la cheffe de service.
On est démunis parce qu'on n'a pas l'encadrement, on n'a pas l'infrastructure
Au fil de notre enquête, une multitude d'établissements confirment vivre de pareilles situations, avec des lits occupés sans raison médicale justifiée, et du personnel contraint de s'occuper d'enfants aux profils souvent délicats à gérer. "On est démunis parce qu'on n'a pas l'encadrement, on n'a pas l'infrastructure", confie Isabelle Absil, infirmière en chef à l'hôpital d'Ixelles.

Chaque jour, en Fédération Wallonie-Bruxelles, 191 mineurs éloignés de leur famille sont à l'hôpital sans raison médicale reconnue. Cette réalité, Michèle Meganck, juge de la jeunesse, y est sans cesse confrontée. "On a certains jeunes qui restent pendant des mois à l'hôpital", assure-t-elle. "La majorité d'entre eux, ils sont entrés peut-être par nécessité pour 2-3 jours pour faire un examen physique ou psychologique, compte tenu de la situation de danger dans laquelle ils sont, mais ils n'auraient pas dû y rester", explique la juge.
Pour expliquer cette situation, il y a une certitude, assurent plusieurs interlocuteurs : il manque de places disponibles dans les centres d'accueil. Il y a 3.000 places en Fédération Wallonie-Bruxelles, occupées en permanence. Résultat : des centaines de jeunes sont forcés de patienter. "Moi, je suis juge de la jeunesse depuis 21 ans, ça s'aggrave. Pourquoi ça s'aggrave ? Parce que je pense aussi qu'il y a plus d'enfants qui doivent être éloignés de leur milieu familial qu'il y a 21 ans. Et les places n'ont pas suivi", déplore Michèle Meganck.
Une pénurie de places en famille d'accueil
Le nombre d'enfants pris en charge par l'aide à la jeunesse est en augmentation flagrante depuis la crise du Covid, avec un climat familial malmené. Certains doivent rejoindre une famille d'accueil, mais problème là aussi : "Il manque 600 familles d'accueil par an", annonce Virginie Vilain XIIII, coordinatrice pédagogique de l'ASBL "Accueil Familial". "L'hôpital, c'est un moindre mal par rapport à un contexte maltraitant où l'enfant devrait rester dans son milieu familial qui est négligeant. Donc c'est sûr que c'est un lieu qui protège. Ce n'est pas un lieu qui peut répondre à tous les besoins d'enfants en termes d'affectivité. Là, on est vraiment dans des manquements, évidemment", regrette-t-elle.
En 2016, déjà, dans un rapport, un réseau d'associations évoquait une situation très préoccupante, comme des éplacements à l'hôpital inadéquats, source d'anxiété pour les enfants.
Cédric Lammens, responsable de l'administration générale de l'aide à la jeunesse, accepte de témoigner. "Le problème continue, mais le problème n'est pas laissé de côté". Il nous l'assure, des places en foyer sont créées. "Il y a un besoin de peut-être envisager l'augmentation de ces places, ça, c'est une réalité, le secteur le dit. Mais ce besoin d'augmentation des places doit pouvoir être objectivé. D'ailleurs, il y a un outil de programmation qui est en cours pour déterminer où ces places doivent être créées", ajoute-t-il.

Mais selon lui, parmi ces enfants, certains ont bien leur place à l'hôpital, mais avec un meilleur encadrement. "Je pense qu'aujourd'hui, ça nécessite des politiques concertées entre les différents niveaux de pouvoir", explique-t-il. "Et ça, ça va se faire ?", demande notre journaliste. "C'est en cours", répond-il.
On est tous révoltés dans le système
Mais en attendant, devant la détresse des enfants, certains s'impatientent. "On a un sentiment d'impuissance parfois ici en disant, mais ce n'est pas adapté, c'est pas comme ça qu'on verrait les choses, etc", regrette Nancy Vitali. "Il y a des moyens à dégager, donc c'est révoltant. On est tous révoltés dans le système. Maintenant, on fait du mieux qu'on peut, mais c'est révoltant", s'indigne Virginie Vilain XIIII. "Finalement, une forme de tristesse de ne pas pouvoir bien faire notre travail au bénéfice d'enfants que nous sommes là pour protéger", déplore Michèle Meganck.
Reste un dernier point à évoquer, source de tension : le coût de ces hospitalisations. Autour de 1.000 euros par jour par enfant, soit 4 à 7 fois plus cher qu'un séjour en foyer. Avant, la Fédération Wallonie-Bruxelles réglait la facture. Mais désormais, la situation semble moins claire, avec des frais souvent pris en charge par l'hôpital, nous certifie celui d'Ixelles. Car sans soins prodigués, la mutuelle n'interviendrait pas. Parfois, les parents sont sollicités ou les CPAS, en ultime recours.
Une enquête à découvrir en images dans le RTL info 19h.