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En septembre 2023, Julia, mannequin belge de 21 ans, reçoit un étrange mail intitulé « Réaliste ? ». Elle y découvre cinq photos d’elle totalement nue. Le choc est immédiat. Elle n’a pourtant jamais posé dans ce registre. En y regardant de plus près, elle reconnaît les clichés : ils proviennent de son propre compte Instagram. Seule différence : sur les originaux, elle était habillée.
« J’étais en vacances, en débardeur et short chez un pote. Tu connais les photos d’origine, tu sais où elles ont été prises, et tu sais aussi que tu es habillée dessus à la base. Donc c’est là que je comprends que c’est un chantage », confie-t-elle.
Plus qu’un simple montage, c’est une véritable atteinte à l’intimité que Julia a subie, rendue possible par une application exploitant l’intelligence artificielle. « Je n’avais pas envie d’être une victime. J’ai eu horreur de me dire que j’étais dépossédée de mon image. C’est à moi. Ce n’est pas une nudité consentie. »
Alors que la majorité des victimes préfèrent se taire, par honte ou par peur des représailles, la jeune femme a pris la parole. Elle a même publié l’une des images générées pour alerter l’opinion : « Je voulais qu’on se rende compte du réalisme et d’à quel point ça pouvait être effrayant. Et ça parle plus. Une image, ça vaut 1000 mots. »
Julia a déposé plainte. Mais à ce jour, l’auteur de ce chantage n’a toujours pas été identifié.
Une technologie à la portée de tous
Cette pratique porte un nom : le « deepnude ». À partir de simples photos, des algorithmes peuvent générer des images très réalistes de nudité, sans que la personne n’ait jamais posé ainsi. Et ces outils sont de plus en plus accessibles. Plus besoin de maîtriser des logiciels complexes : il suffit de quelques euros – voire de rien du tout – et d’une connexion internet.
Benjamin Maréchal, qui traque les arnaques dans l’émission « Coûte que coûte, le bureau des arnaques », alerte : « C’est l’arnaque technologique du moment. Il y a une étude de l’université d’Anvers qui dit qu’un jeune sur huit en Belgique connaît des applications pour faire ce genre de micmac. Et parmi eux, 60 % les ont déjà utilisées. Ce n’est pas du tout une arnaque du futur. »
L’intelligence artificielle ne se limite pas à la création d’images. Elle permet également d’imiter la voix d’une personne à partir de simples extraits sonores. Les escrocs n’ont plus besoin de se faire passer pour un proche : ils peuvent être ce proche, le temps d’un appel ou d’un message audio.
La conséquence est directe : les arnaques se multiplient et deviennent de plus en plus crédibles. Certaines victimes reçoivent des messages vocaux de leurs enfants ou de leurs conjoints, créés de toutes pièces pour les pousser à transférer de l’argent en urgence. D’autres, comme Julia, deviennent les cibles de chantages basés sur des images trafiquées.
Une législation encore trop limitée
Face à cette montée en puissance, l’Europe tente de réagir. Deux textes sont censés encadrer ces pratiques : l’IA Act et le Digital Services Act (DSA).
Le premier impose que les contenus générés par intelligence artificielle soient clairement signalés comme tels. « Le problème, c’est que ce texte concerne surtout les grandes entreprises informatiques. Le petit pirate, lui, ne va pas s’y conformer », déplore Benjamin Maréchal.
Quant au Digital Services Act, il prévoit que les grandes plateformes comme Google ou Meta s’engagent à limiter la diffusion des deepfakes, notamment en rendant ces contenus moins rentables et en facilitant leur signalement. Mais toutes ne jouent pas le jeu : la plateforme X (anciennement Twitter) s’est retirée du dispositif en 2024.
Des sanctions lourdes
En Belgique, la loi prévoit déjà des peines importantes. « La diffusion d’un contenu sexuel sans le consentement de la victime, c’est une infraction pénale grave. On peut aller de six mois à cinq ans de prison et jusqu’à 10.000 € d’amende », rappelle Benjamin Maréchal. Et si le montage a été réalisé dans un but de chantage, de profit ou de vengeance, les peines sont alourdies.
Autre point important : si l’auteur refuse de retirer l’image malgré une injonction du tribunal, il s’expose à une amende supplémentaire de 15.000 €.
Les conseils de Benjamin Maréchal sont à découvrir en streaming sur RTL play et chaque ce mercredi à 19h50 sur RTL tvi.

















