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Une vingtaine de productions déjà annulées en 2023, plus de 120 suspendues, une maison d'opéra qui ferme temporairement ses portes: l'inflation et le coût de l'énergie ont plongé le milieu lyrique dans une zone de turbulences.
A la mi-janvier, l'Opéra du Rhin a annulé un spectacle en cours de saison, invoquant des augmentations non prévisibles de charges.
S'ensuivit l'annonce surprise par l'Opéra de Rouen d'une fermeture de cinq semaines pour raisons budgétaires. L'Etat a débloqué en urgence près de 200.000 euros.
Mais les déprogrammations se succèdent et 26 productions lyriques et symphoniques ont été supprimées et 126 représentations suspendues cette année, selon le syndicat Les Forces musicales. Et 76% de ses adhérents (une cinquantaine d'opéras et d'orchestres) peinent à équilibrer leur budget en cours.
"C'est inédit et inquiétant", affirme à l'AFP Frédéric Pérouchine, directeur de La Réunion des Opéras de France (ROF), un réseau formé d'une trentaine de structures lyriques.
- "Face cachée de l'iceberg" -
"On est à un moment où tout s'accumule", ajoute-t-il, citant la période post-pandémie, l'inflation, le coût de l'énergie et l'augmentation des salaires.
Et, depuis 15 ans, "les subventions au mieux stagnent, au pire régressent, c'est donc un effet ciseaux", dit-il. "Tout n'est pas arrivé d'un coup mais la conjoncture a agi comme révélateur et l'on voit désormais la face cachée de l'iceberg". Si la ROF assure que le public est revenu en salles, le problème va au-delà de la question du remplissage.
"Depuis des années, les maisons d'opéra s'adaptent avec des mesures de bric et de broc puis, avec des crises imprévisibles comme la pandémie ou la crise énergétique, ce n'est plus tenable", précise M. Pérouchine.
Même la scène lyrique la plus subventionnée de France, l'Opéra de Paris, peine à éponger ses dettes malgré une aide substantielle de l'Etat.
Depuis quelques semaines, la prestigieuse institution s'est lancée dans des opérations inédites censées diversifier ses recettes: enchères, croisières avec des danseurs étoiles et même... une convention avec Airbnb pour offrir à un couple une nuit au Palais Garnier. Vendredi, l'Opéra annonçait le lancement de sa première collection de NFT dédiée à l'univers du ballet et dont les produits "participeront au financement de la création artistique".
"On a la chance en France d'avoir des collectivités et un Etat qui financent la culture", estime M. Pérouchine. "Personne ne veut brader le lyrique".
A Montpellier, l'Opéra, financé à hauteur de 13,5 millions d'euros par la Métropole, devrait "finir l'exercice avec un déficit annoncé d'un million d'euros" et a déjà pris des mesures d'économie, dont le report d'un spectacle, a indiqué à l'AFP le président de la Métropole Michaël Delafosse.
"On ne peut pas se retrouver dans une structure qui fermerait les portes, donc ça demande un effort que nous ferons, mais la Collectivité est dans une situation très compliquée du fait du coût de l'énergie", ajoute-t-il. Il appelle le ministère de la Culture "à prendre des dispositions" car "les Collectivités ne peuvent pas régler seules le problème".
Le lyrique est le "réseau qui emploie le plus d'artistes permanents dans le spectacle vivant", rappelle aussi Aline Sam-Giao, directrice des Forces musicales.
- Financement privé -
Les opéras ont souvent des orchestres, des choeurs et/ou des compagnies de ballet permanents.
De plus, les missions et donc les effectifs des maisons d'opéra se sont beaucoup développés depuis 30 ans, notamment pour démocratiser un art encore jugé élitiste.
"Faudra-t-il toucher à la mission de montrer le répertoire symphonique et lyrique au plus grand nombre et renoncer par exemple aux concerts gratuits dans les prisons ou les écoles?", s'interroge Aline Sam-Giao.
A l'Opéra National du Rhin, soutenu notamment par trois villes - Strasbourg, Colmar, Mulhouse - et qui fait face à une baisse de dotations sur 2023, le directeur Alain Perroux estime que les opéras de région "n'ont pas attendu la crise pour serrer nos dépenses et chercher du financement privé".
"C'est le moment de se retrouver autour d'une table avec tous les partenaires publics pour discuter de la répartition des dotations", dit le directeur qui va réduire le nombre de tournées de son initiative "Opéra volant" dans des régions considérées comme des "déserts culturels".
"Pour le moment, plutôt que de baisser la qualité, on baisse un peu le volume. Ce qui nous inquiète, ce sont les années 2024, 2025...", dit-il.