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Nos modes de vie à la loupe du peintre-sociologue Bertrand Réau

Dans ses travaux sur les vacances, les loisirs et l'explosion des inégalités, comme dans ses tableaux brossant une société fissurée, Bertrand Réau pose un double regard de sociologue et de peintre des modes de vie.

Sous l'objectif d'une caméra de vidéo-surveillance, des yeux noirs nous happent à l'entrée du Hang Art, le café artistique sur le bassin de la Villette à Paris (19e) où Bertrand Réau expose jusqu'au 31 janvier. "Ce premier tableau est un clin d'oeil qui nous rappelle qu'on est tous regardés", explique-t-il à l'AFP.

A 44 ans, cet ancien professeur invité de l'université américaine de Berkeley enseigne depuis 2018 au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) où il occupe la chaire "Tourisme, voyages, loisirs". Sa thèse de sociologie, soutenue en 2006, portait sur une "histoire sociale" du Club Med.

2018 est aussi l'année où a commencé à peindre ce fils d'un couple de coiffeurs de Rambouillet (Yvelines), qui de son propre aveu "n'a jamais fait de dessin ou de peinture durant l'enfance, hormis à l'école".

Son site internet baptisé artbrutpeinture.fr rend hommage à Jean Dubuffet qui entendait par art brut "des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique". "Je ne suis pas un marginal mais le caractère spontané, autodidacte de la création m'intéresse", confie Bertrand Réau.

Au Hang Art, une "oeuvre participative" dont l'artiste a réalisé le fond, est mise à disposition des visiteurs afin "que chacun puisse déposer ses idées, ses envies, ses fragments de vie".

Actuellement, le sociologue mène un projet pour le CNRS sur la socialisation des enfants. Il développe tout un travail sur le dessin durant ses entretiens avec des jeunes de 8 à 12 ans. "On prend une feuille et on se dit +dessinons nos vacances. L'enfant dessine et moi aussi. Le contact s'établit plus facilement et devient plus fluide".

Son fils de huit ans travaille souvent avec lui dans l'atelier qu'il s'est aménagé dans la maison familiale de Rambouillet. "C'est très intéressant d'avoir le regard d'un enfant, d'échanger avec lui. La pratique artistique en commun permet de créer du lien."

Ce lien tissé par l'art permet de réduire la distance qu'impose le mode de pensée scientifique, "qui a aussi sa part de créativité, quand par exemple on émet des hypothèses, mais qui rend certaines choses difficiles à appréhender".

- Continuum de crises -

Désormais pour lui, "observation participante" du sociologue et "acuité visuelle" de l'artiste vont de pair et sont "extrêmement complémentaires".

A l'image de la démarche qu'il a suivie en réalisant une "ethnographie d'un parc à thème ethnique" de la région de Sabah en Malaisie, où les pratiques culturelles locales étaient mises en scène devant les visiteurs.

Afin que sa présence soit acceptée au sein du Sabah Village à la fois par les acteurs locaux et les touristes, il s'est muni d'une caméra qui ne l'a pas quitté. "L'usage de la vidéo m'a permis de faire ma place et de me constituer un carnet visuel."

L'exposition parisienne baptisée "Fragment(é)s" vient appuyer des recherches plus récentes menées sur les effets de la crise du Covid pour les familles, le secteur touristique ou encore le télétravail.

"Je voulais retracer les chamboulements de nos modes de vie" soumis à "un continuum de crises" (sanitaire, énergétique, pouvoir d'achat), qui ont "fait exploser les inégalités" et agi tel "un accélérateur comme s'il y avait un corps social déjà fissuré qui se délitait".

Les oeuvres s'enchaînent avec des jeux sur la matière, la technique et les couleurs.

Dans "Tétralogie", Bertrand Réau questionne en quatre tableaux notre rapport au temps et à la planète. Le triptyque Year 2019, 2020, 2022 mêle peinture, musique et jeux de lumière pour évoquer les glissements de la société échevelée de l'avant-Covid à la noirceur absolue de la tension internationale actuelle.

Les deux tableaux "Feu d'artifice" et "Taureau", tout en foisonnement de couleurs projetées sur la toile, donnent une touche finale un peu plus optimiste. Car pour Bertrand Réau, la question est désormais: "Comment les fragments peuvent refaire corps social?"

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