Partager:
"Avec de l'argent tout peut se régler": pour les milliers de migrants du Nicaragua désireux chaque année de rejoindre les États-Unis avec l'espoir d'y entamer une nouvelle vie, les douaniers du Honduras voisin constituent le premier obstacle de leur long et épuisant périple.
Fuyant les troubles politiques et économiques sous le gouvernement du président Daniel Ortega, des dizaines de Nicaraguayens, sans emploi ou avec un salaire de misère, quittent chaque jour le petit pays d'Amérique centrale, laissant derrière eux familles et biens, s'endettent même parfois, pour tenter de rejoindre les Etats-Unis.
Yesica Centeno, 42 ans, fait partie des passagers d'un autocar arrivé en cette fin d'année au poste frontière hondurien d'El Guasaule après un voyage de trois heures depuis Managua, et qui doit se poursuivre jusqu'au Guatemala.
"Il est possible que certains d'entre-vous aient des problèmes avec leurs certificats de vaccination ou leurs documents de voyage", avertit d'emblée un agent à bord. "Si cela se produit, ne discutez pas avec la 'migra' hondurienne (les douaniers). Venez me voir et je vous aiderai. Mais vous savez déjà qu'avec de l'argent tout peut se régler", poursuit-il à l'adresse des voyageurs.
Accompagnée de ses deux enfants adolescents, Yesica Centeno se voit justement informée qu'elle ne peut pas entrer au Honduras en raison d'un problème avec son certificat de vaccination Covid.
"Tout est question d'argent. Ils vous disent que pour une lettre ou un chiffre erroné dans un document, vous ne pouvez pas poursuivre le voyage. La seule option qu'ils vous donnent est de s'arranger avec de l'argent", témoigne-t-elle auprès de l'AFP.
Un quart des Nicaraguayens vit dans la pauvreté, selon les chiffres officiels. La plus petite économie d'Amérique centrale est enlisée dans une crise politique et économique depuis 2018. Son président est critiqué pour son autoritarisme croissant, l'arrestation de dizaines de rivaux politiques et l'emprisonnement de centaines d'opposants.
- 40 dollars chacun -
Du fait de cette crise politique et sociale, les Nicaraguayens migrent en masse notamment vers les Etats-Unis. Au pouvoir depuis 2007, le président Ortega estime que cet exode massif est la conséquence des sanctions américaines infligées à son pays.
Les agents frontaliers "profitent" de la situation critique des Nicaraguayens, regrette Yesica Centeno, en route pour les Etats-Unis où son mari à migré il y a un an.
Une vingtaine de passagers du bus vont devoir payer 40 dollars chacun afin d'être autorisés à entrer au Honduras, constate l'AFP. D'autres devront débourser 100 ou même 250 dollars.
"La quasi totalité d'entre nous s'est vu prélever 40 dollars, ce n'est pas juste", se plaint Eriselda Soza, une Nicaraguayenne de 32 ans.
Pour ceux qui arrivent sans certificat de vaccination Covid --obligatoire pour entrer au Honduras-- l'"amende" est de 250 dollars, raconte un autre passager sous couvert d'anonymat.
Au total, les fonctionnaires honduriens ont soutiré 1.300 dollars aux passagers du bus, l'agent à bord leur servant d'intermédiaire. Vraisemblablement, le même sort a été réservé aux migrants nicaraguayens des seize autres bus garés à proximité.
Selon l'agence américaine des douanes et de la protection des frontières (CBP), plus de 164.000 Nicaraguayens ont tenté d'entrer aux États-Unis sans documents valides en 2022, soit trois fois plus qu'un an plus tôt.
Interrogées par l'AFP, les autorités honduriennes ont assuré ne pas être au courant d'irrégularités au poste frontière.
"L'Institut national des migrations ne fait pas payer l'entrée dans le pays, nous sommes contre toute collecte illégale", a déclaré son porte-parole Wilson Gomez. "S'il est établi que des frais sont perçus, l'Institut saisira le parquet pour qu'il enquête".
La présidente du Honduras Xiomara Castro, élue en janvier dernier, a promis une "guerre contre l'extorsion" et signé en décembre un accord avec les Nations Unies à New York pour former une commission chargée d'enquêter sur la corruption.