Accueil Actu Monde International

Bélarus: Tikhanovskaïa, de "femme ordinaire" à opposante de choc

L'opposante en exil Svetlana Tikhanovskaïa, dont le procès par contumace s'est ouvert mardi au Bélarus, est passée en moins de trois ans du statut de mère de famille anonyme à celui d'infatigable pourfendeuse du régime d'Alexandre Loukachenko.

Arpentant les capitales occidentales, elle dénonce la répression politique implacable au Bélarus et le soutien de Minsk à l'offensive de Moscou en Ukraine, le territoire bélarusse servant de base arrière aux troupes russes.

Lors d'une interview avec l'AFP lundi, elle a qualifié les exercices que mènent actuellement au Bélarus des soldats russes et bélarusses de "spectacle à destination du peuple du Bélarus, pour le menacer, pour lui dire: regardez l'armée russe est là, alors restez tranquilles, ne vous opposez à rien".

"Quand on négocie avec le dictateur Loukachenko, il faut garder en tête qu'il ne tiendra jamais parole et qu'il agit comme la marionnette de la Russie", écrivait-elle encore récemment sur son compte Twitter.

"Nous pouvons changer le monde, nous pouvons vaincre la tyrannie", assurait-elle aussi en octobre, lors d'une conférence à Paris, en appelant les dizaines de milliers de jeunes Bélarusses en exil à s'instruire pour, un jour, revenir construire un pays libre et démocratique.

Contrainte elle-même à l'exil, l'opposante âgée de 40 ans fut la principale figure du mouvement de contestation historique et pacifique déclenché en août 2020 après la réélection contestée du président Loukachenko.

Mme Tikhanovskaïa accuse M. Loukachenko, âgé de 68 ans et au pouvoir depuis 28 ans, de bâillonner et torturer un peuple entier, de lui avoir volé la victoire à la présidentielle et d'avoir cédé la souveraineté du Bélarus au Kremlin.

En dépit de sanctions occidentales, et fort du soutien de Moscou, le régime bélarusse a banni la quasi-totalité des ONG et médias indépendants. Militants et journalistes se retrouvent exilés ou condamnés à de très lourdes peines de prison.

- "Pauvre nana" -

Professeure d'anglais de formation, Svetlana Tikhanovskaïa ne se destinait pas à une telle vie, elle qui avait renoncé à l'enseignement pour se consacrer à son fils aîné, né malentendant.

Si elle est entrée dans la présidentielle en 2020, c'est parce que son mari, Sergueï Tikhanovski, un YouTubeur en vue, avait été emprisonné après avoir déclaré sa candidature en disant vouloir écraser "le cafard" Loukachenko.

Se présentant comme une "femme ordinaire", Svetlana Tikhanovskaïa avait alors repris le flambeau "par amour" pour son "coup de foudre" rencontré alors qu'elle était jeune étudiante et lui patron d'une boîte de nuit.

La Commission électorale avait validé sa candidature à la surprise générale, quand d'autres opposants, jugés plus sérieux, étaient bannis ou arrêtés.

Elle avait formé alors un trio de choc aux antipodes du machisme assumé du président bélarusse -- qui l'a qualifiée de "pauvre nana" -- en s'associant avec deux autres femmes, Maria Kolesnikova et Veronika Tsepkalo.

La première, condamnée en 2021 à onze ans de prison et récemment hospitalisée en détention, était la directrice de campagne d'un candidat emprisonné. La seconde, qui s'est exilée, est l'épouse d'un opposant interdit de présidentielle.

"Je suis fatiguée de tout devoir supporter, je suis fatiguée de me taire, je suis fatiguée d'avoir peur. Et vous?", lançait Svetlana Tikhanovskaïa à Minsk, sous les vivats, le 30 juillet 2020, lors de sa campagne présidentielle qui avait rassemblé des foules jamais vues depuis l'indépendance du pays en 1991.

L'annonce quelques jours plus tard de la réélection de Loukachenko avec un score mirobolant, suscitant de forts soupçons de fraudes, déclenche un mouvement de manifestations d'une ampleur sans précédent.

Le régime réplique à coups de matraques, de grenades assourdissantes et par des milliers d'arrestations. Les accusations de torture en prison fusent.

Convoquée par autorités, Svetlana Tikhanovskaïa est forcée d'enregistrer une vidéo appelant ses partisans à ne plus descendre dans la rue. En échange, elle est autorisée à s'exiler en Lituanie où ses deux enfants l'attendent.

D'abord timide et hésitante dans ses apparitions publiques, Svetlana Tikhanovskaïa a gagné en assurance dans son exil, s'attirant le respect des présidents français Emmanuel Macron et américain Joe Biden ainsi que de la chancelière allemande de l'époque Angela Merkel.

Et le régime bélarusse la considère désormais comme une ennemie à abattre. Son mari, Sergueï Tikhanovski, a pour sa part été condamné en décembre 2021 à 18 ans de prison.

À lire aussi

Sélectionné pour vous