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La solidarité de genre a pris le pas sur l'appartenance ethnique cette semaine en Inde quand un groupe de mères en colère a incendié la maison d'hommes de leur propre clan accusés d'avoir humilié des femmes dans une vidéo virale.
Au moins 120 personnes ont été tuées en près de trois mois de violences inter-ethniques qui opposent les Meiteis, l'ethnie dominante majoritairement hindoue, aux Kukis, en général chrétiens, dans l'État du Manipur (nord-est).
Or cette fois ce sont des femmes de la communauté meiteie qui ont manifesté leur colère contre des hommes de leur ethnie, après la diffusion mercredi d'une vidéo humiliante montrant deux femmes kukies forcées de se déshabiller avant d'être raillées et harcelées par une foule d'hommes meiteis.
L'Inde est un pays généralement conservateur et patriarcal, mais dans la communauté des Meiteis, les femmes ont un rôle plus important qu'ailleurs.
Jeudi, la police a arrêté quatre premiers suspects, identifiés à partir de cette vidéo datée de mai, dont l'AFP n'a pas pu vérifier l'authenticité.
Mais le même jour, un puissant groupe de femmes meiteies s'est rassemblé sous le nom de "Meira Paibis", ou "Mères du Manipur", et ont détruit les murs des maisons de deux des suspects, avant d'y introduire des balles de foin et d'y mettre le feu.
"Nous condamnons les violences faites aux femmes et pour cela, nous voulons la peine capitale", a déclaré Sumati, dans une interview à l'AFP, ne dévoilant que son prénom..
Six arrestations en lien avec la vidéo ont eu lieu à ce jour, a rapporté la police samedi, précisant mener des "raids" pour trouver d'autres suspects.
- "Honte à la nation" -
Des violences ont éclaté en mai au Manipur contre l'éventualité que la communauté des Meiteis obtienne le statut de "tribu répertoriée" qui leur garantirait des quotas d'emplois publics et d'admissions dans les universités, une hypothèse qui a ravivé en outre des craintes parmi les Kukis de voir les Meiteis autorisés à acquérir des terres qui leur sont actuellement réservées.
Le conflit a forcé des dizaines de milliers de personnes à fuir dans des camps gérés par le gouvernement, mais la vidéo, devenue virale dès mercredi, a suscité des mouvements de protestation partout en Inde.
Le Premier ministre indien Narendra Modi a déclaré que cette affaire avait "fait honte à toute la nation" et le gouvernement de l'Etat, dirigé par le parti nationaliste hindou au pouvoir Bharatiya Janata (BJP), a ouvert une enquête.
"Les deux communautés condamnent cet événement", a déclaré Suchitra Rajkumari, 42 ans, une militante locale. "Au moins sur un point, elles sont d'accord".
Les "Meira Paibis" ont aussi accusé Thangjam Lata Devi, la mère de l'un des suspects, d'avoir un fils "gâté", avant d'incendier la maison maternelle.
"Les accusés et leur famille ne pourront plus vivre dans le village. C'est pourquoi nous avons détruit la maison", a justifié Sumati, qui a aidé ses consoeurs à mettre le feu à une habitation.
- "Protéger notre peuple" -
Mais si ces groupes de femmes font leur propre justice, elles savent aussi protéger leurs hommes.
Samedi, quelque 500 femmes ont bloqué des routes pour empêcher une centaine de policiers armés d'arrêter un suspect lié à la vidéo, pendant trois heures d'affrontements.
"Tuez-nous! Prenez-nous toutes!", ont crié les femmes, le visage enduit de dentifrice (qui, selon elles, aide à se protéger des gaz lacrymogènes) et brandissant des torches enflammées.
Elles affirmaient que les hommes que la police voulait arrêter n'étaient pas responsables, et les policiers sont rentrés bredouille.
Depuis le début des violences, de l'aube au crépuscule, des patrouilles des "Meira Paibis" ont martelé les poteaux électriques pour donner l'alerte et ont barré la route aux forces de l'ordre, qu'elles accusent d'être partiales en faveur des Kukis.
"Notre tradition est d'aider notre peuple, cela nous donne une force intérieure", a déclaré à l'AFP Matouleibi Chanu, également membre de "Meira Paibis".
L'armée a admis avoir dû relâcher douze membres de la milice meiteie en juin, après avoir été encerclée par 1.500 femmes.
"Nous ferons tout pour protéger notre peuple", a déclaré à l'AFP Chongtham Thopi Devi, 60 ans, une autre membre des "Meira Paibis".
Or pour disperser les femmes, la police reconnaît ne pas "pouvoir utiliser de la même force que pour les hommes", a déclaré un officier supérieur, qui a requis l'anonymat car n'étant pas autorisé à parler aux journalistes.
"Nous trouvons souvent des hommes cachés derrière ces femmes lors des manifestations et des marches", dit-il, "ce sont toujours les femmes qui mènent".