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Opération "retour en grâce" contre "casserolades": Emmanuel Macron, qui cristallise toutes les colères sur la réforme des retraites, multiplie depuis son adoption les sorties au contact des Français, jouant la proximité et l'écoute pour tenter de relancer son quinquennat et de reprendre la main face à la contestation.
Les opposants à la réforme, maintenus à bonne distance par les forces de l'ordre, l'attendent, à chaque déplacement, à grand renfort de casseroles et de sifflets ? Il s'invite au même moment sur un marché pour discuter avec des passants, ou se rend dans un lycée, entouré de jeunes le pressant de faire un selfie.
Une dame l'interpelle sur la lenteur de ses réformes ? "Ah putain! Je voudrais que ça aille plus vite !". Un monsieur reproche aux patrons de la grande distribution de "s'en foutre plein les poches" ? "Moi aussi ça me choque", réplique l'ancien banquier.
"Face au risque de violence résultant de la colère collective, il se doit de mettre en scène une stratégie d’apaisement", considère Fabienne Martin-Juchat, professeure en sciences de la communication à l'université Grenoble-Alpes.
Le chef de l'Etat, qui a vécu en retrait à l'Elysée depuis le début du conflit social et politique, cherche désormais "des situations de face-à-face pour +ritualiser+ le fait qu’il garde le contrôle, renoue le dialogue", souligne-t-elle, rappelant que la politique est aussi affaire de "confrontation corporelle", de ressenti et d'émotions.
Sur une terrasse de café, un marché, la halte n'est jamais due au hasard, même si l'effet de surprise est bien là. Le spectacle s'invite aussitôt sur les chaînes d'information.
Catharsis pour les uns, exutoire pour les autres, ces "petits débats" selon les propos d'un ministre ont remplacé le Grand débat national initié par le chef de l'Etat en 2019 en réponse à la crise des Gilets jaunes.
- Attention, danger -
Englué déjà dans une contestation vertigineuse, Emmanuel Macron avait alors invité les Français à exprimer leurs doléances dans des réunions publiques - il y en eut plus de 10.000.
Mais l'exercice paraissait difficile à rééditer dans un nouveau climat de défiance.
Le marché où il s'est rendu à Dole (Jura) "symbolise le peuple, un espace de rencontre quotidien, presque familier, de l'ordre de la vie sociale ordinaire. Faire ses courses c'est ce qu’il y a de plus basique dans l’espace domestique", relève Fabienne Martin-Juchat.
Au même moment, les casserolades battaient leur plein 100 kilomètres plus loin, dans le Doubs, où le chef de l'Etat était attendu pour commémorer l'abolition de l'esclavage.
"Son message c'est alors: +On me dit que je suis coupé de la réalité ? Et bien non, je suis dans la réalité. Je peux sortir et vous ne réussirez pas à m'enfermer", résume François Jost, sémiologue et professeur émérite à La Sorbonne Nouvelle.
Les échanges peuvent être vifs, musclés mais ils ont lieu. Emmanuel Macron acquiesce aussi souvent qu'il le peut, s'efforce d'éviter toute provocation qui puisse alimenter son procès en arrogance.
"Le danger c’est qu'il est quand même assez impulsif, comme lorsqu'il a invité un chômeur à traverser la rue pour trouver un emploi", observe François Jost.
- "Zone de confort" -
Volontiers familier et direct - "ouais", "hé les gars", "je me suis suffisamment fait engueuler", "je suis 100% d'accord avec vous" - il tente de mettre rapidement à l'aise son interlocuteur, comme pour mieux le désarmer.
Pour Adrien Rivierre, spécialiste de la prise de parole en public, le président est "plutôt dans sa zone de confort" dans ce genre d'exercice.
"Il a une capacité rhétorique, à prendre des questions, à y répondre, une très bonne capacité de réaction. Il connaît bien ses sujets, il peut avoir de l'humour, il a de la répartie".
Mais la fascination pour ce président jeune, venu de nulle part et disruptif, est retombée depuis le premier quinquennat.
"L’auditoire a grandi, se laisse moins prendre. Il se permet de l'interpeller de manière beaucoup plus violente. Certains lui parlent comme ils parleraient à leur frère ou cousin", note Adrien Rivierre.
Et, si cette tentative de reprise de contact avec les Français ne débouche sur rien, "il sera dans une impasse", met-il en garde, pointant également un risque de "paternalisme".
"A un moment donné, le +je vous comprends, je sais ce que vous vivez+ ne marche plus parce qu'on sait qu’il ne vient pas de là".
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