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La désinformation massive au Brésil, souvent source de disputes dans les familles, "contamine" de nombreux Brésiliens qui souffrent d'insomnies, d'anxiété ou autres attaques de panique.
Cirlene, une avocate de Sao Paulo de 31 ans, qui s'exprime sous couvert d'anonymat, explique que son père, un agent immobilier de 63 ans, a souffert d'insomnie à cause de "l'énorme quantité de fausses nouvelles" diffusées sur les réseaux sociaux ces derniers mois.
Après l'attaque de partisans radicaux de l'ancien président d'extrême droite Jair Bolsonaro contre les centres du pouvoir à Brasilia le 8 janvier, il a fini par quitter le réseau WhatsApp, où il puisait ses informations.
Les émeutiers, refusant la victoire électorale sur le fil du nouveau dirigeant de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, ont saccagé le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême. Plus de 2.000 d'entre eux ont été arrêtés immédiatement après.
"Nous lui avons parlé, parce qu'il a commencé à être malade, il était vraiment paranoïaque, croyant que des gens allaient entrer dans sa maison, que l'argent de son compte bancaire allait être gelé", raconte l'avocate.
"Des amis à lui avaient des crises de panique", poursuit-elle, évoquant également les violentes disputes entre elle et son père lorsque la discussion glissait vers la politique.
"Il croyait que Lula ne pourrait pas prendre le pouvoir parce que quelque chose allait se passer", explique-t-elle.
Les spécialistes soulignent les effets sur la santé des fausses informations, tout en mettant en garde contre le manque d'études sur le sujet.
- "Santé mentale" -
"Ce que nous voyons maintenant, c'est que cette pollution de l'information affecte la santé mentale et aussi la santé (en général) de la personne", explique Patricia Blanco, présidente de l'Institut Palavra Aberta, qui développe des programmes d'éducation aux médias pour les plus de 60 ans.
Bien que personne ne soit à l'abri des "fake news", selon elle, les personnes âgées sont les "plus vulnérables" car elles ont vécu avec un mode de consommation de l'information différent, avec des médias solides et crédibles.
Luana raconte que sa mère, une enseignante à la retraite de 80 ans, souffrait également d'insomnies parce qu'elle craignait que des sans-abri s'installent dans son appartement de São Paulo dans le cadre d'un prétendu "plan" de Lula.
Pendant la campagne électorale l'année dernière, une fausse information a circulé selon laquelle la victoire du candidat de gauche obligerait certains Brésiliens à loger des familles sans-abri.
"Le jour de l'An, elle s'est habillée en blanc parce que ce qu'elle voulait le plus, c'était la paix, parce qu'elle n'était plus jamais en paix. La pauvre, et c'est vrai: son anxiété est constante", témoigne Luana, une gestionnaire de 54 ans, qui ne souhaite pas non plus être identifiée.
Ayant toujours été de droite, sa mère s'est rapprochée de Jair Bolsonaro lorsqu'il était encore au gouvernement. Et les groupes sur les réseaux sociaux, comme WhatsApp ou Telegram, largement utilisés par les bolonaristes, sont devenus sa source d'information.
C'est comme ça qu'elle a eu vent des supposés "plans" de Lula pour loger des sans-abri, parmi d'autres initiatives farfelues destinées supposément à transformer le géant latino-américain en un pays communiste, un chiffon rouge souvent agité par l'ancien président d'extrême droite.
"Les gens sont très critiqués (pour croire aux fausses informations, ndlr), mais il y a aussi une part de souffrance", souligne la quinquagénaire.
La diffusion de fausses informations a laissé penser à de nombreux Brésiliens que l'attaque des lieux de pouvoir le 8 janvier était justifiée, estiment les experts.
Pour Leonardo Nascimento, expert en sociologie numérique à l'Université fédérale de Bahia, la lutte contre les "fake news" passe par des campagnes d'éducation et le renforcement des médias.
Lula s'est engagé à lutter contre la désinformation qui sévit au Brésil depuis des années, et dont les experts s'accordent à dire qu'elle a eu un impact sur les résultats des élections de 2018 remportées par Jair Bolsonaro.
Elle a également porté atteinte à la lutte contre le Covid-19, qui a fait 697.000 morts dans le pays et que Jair Bolsonaro a minimisé, jusqu'à plaisanter sur les possibles effets secondaires des vaccins, susceptibles de transformer les gens en "crocodile" ou en "femme à barbe".