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Comme des centaines d'enfants précarisés, Loujain, une fillette de six ans, vit avec sa famille dans une chambre d'hôtel de Marseille, sans cuisine. Mais grâce à un camion-cuisine pionnier en France, sa mère Fatima lui mitonne à nouveau des poivrons au four.
Rue Bernard-Dubois, au centre de Marseille, 09h30. Un camion blanc décoré de dessins d'aubergines et d'artichauts se gare et ouvre ses panneaux latéraux. Derrière le comptoir, comme dans un food-truck permettant à des festivaliers de se restaurer, fourneau, plan de travail, casseroles...
Anaïs Béringer, coordinatrice du projet pour l'organisation humanitaire Armée du salut, pose des caisses de légumes et quelques boîtes d'oeufs sur une table, avant que les cinq personnes -quatre femmes et un homme- inscrites pour utiliser les lieux n'arrivent.
"On travaille avec des personnes hébergées à l'hôtel, qui ont été mises à l'abri par le 115, qui ont connu un parcours de rue à un moment donné, des personnes sans ressources", explique-t-elle.
En France, des dizaines de milliers de personnes vivent dans des chambres d'hôtel, privés de logement personnel et donc de cuisine, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement.
"Et pourtant mes enfants ils aiment quand je fais la cuisine!", confie Fatima, 40 ans, qui vit dans cette situation et tait son nom faute de papiers.
Vendeuse en Algérie, cette femme discrète a tout quitté avec son mari pour trouver un traitement adapté pour leur fillette handicapée en France.
Loujain est désormais soignée dans un hôpital marseillais, avec d'immenses progrès face au handicap. Leur fils de 10 ans est scolarisé.
- "Amour par la cuisine" -
"Beaucoup d'amour passe par la cuisine, entre une mère, un père et leurs enfants, si on casse ça, pour des gens qui ont déjà dû partir de chez eux, c'est très dur, c'est pour cela que cette initiative de camion-cuisine est remarquable", estime Vera Frediani, qui a exploré les liens entre ce que l'on est et ce que l'on mange dans le livre "Marseille cuisine le monde".
Tous les jeudi matin, après son cours de français, Fatima se rend donc au camion-cuisine.
Ce jour-là, elle épluche, coupe et assaisonne poivrons, artichauts et pommes de terre à côté de Nesrine, qui vit aussi en hôtel depuis un an et demi avec sa famille et fait elle mitonner une chorba, soupe du Maghreb.
Sur une table à l'extérieur du camion, Oleg, demandeur d'asile ukrainien, étale sa pâte pour son pain au maïs: intolérant au gluten et à d'autres aliments, il peine à se nourrir dans les soupes populaires et distributions alimentaires.
Toute la matinée, la joie de cuisiner ensemble est palpable, mais aussi le soulagement pour ces exilés, souvent englués dans des casse-têtes administratifs et financiers: "Je suis heureuse quand je viens ici, parce qu'Anaïs donne de l'énergie, parce que je connais plusieurs des femmes, avant j'étais seule, sans amis", dit Fatima, la voix soudain nouée par l'émotion.
"Il y a un enjeu du bien-être et de la santé", souligne Anaïs Béringer: "Sans le camion-cuisine, certaines personnes ne peuvent se permettre qu'un fast-food ou se sous-alimentent".
"Ca permet de redonner à ces personnes du pouvoir sur leur vie, de l'autonomie", ajoute-t-elle. "Mais aussi d'avoir la joie d'offrir un gâteau". Et à Marseille, ville pauvre, le lien entre les humains "se crée souvent par une recette qu'on s'offre", insiste Vera Frediani.
L'Armée du salut, qui a depuis janvier lancé un autre camion-cuisine à Paris, reçoit légumes, laitages, pâtes de la Banque alimentaire. Elle aimerait pouvoir offrir un peu plus de viande et de poisson.
Elle voudrait aussi trouver d'autres lieux de stationnement à Marseille, une ville où des milliers de personnes vivent en hébergement d'urgence, des mois voire des années vu le manque de logements sociaux. 25 familles fréquentent le camion-cuisine, préparant 132 repas par semaine, d'autres sont sur liste d'attente.
Vers 13h15, Nesrine et Fatima emportent leurs plats vers leur hôtel.
Sur un rebord de fenêtre servant de frigo improvisé, Fatima pose quelques tupperwares. Puis elle fait asseoir Loujain à la petite table près du lit et lui dépose frites et poivrons: le visage de la fillette aux boucles brunes s'illumine.