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Youssef se garde bien d’avancer trop loin. Sa hantise : ce bloc jaune de béton. « Ce n’est qu’à 50 mètres de chez moi, mais c’est dangereux. Bien que résident, je ne peux pas y aller. »
Son quartier se trouve juste derrière ce bloc de béton, dans une zone désormais sous contrôle israélien depuis deux mois et demi. « C’est chez moi, là-bas, mais tant que l’armée israélienne est sur la ligne jaune, on ne peut pas approcher. »
Cette ligne jaune partage désormais la bande de Gaza en deux depuis le cessez-le-feu du 10 octobre. À gauche, 2,3 millions de Gazaouis ; à droite, la « zone jaune », sous contrôle israélien, soit 53 % du territoire. Des panneaux jaunes et des blocs de béton marquent cette séparation. L’armée israélienne a d’ailleurs diffusé les images de leur installation.
Mais après analyse de photos satellites, il apparaît qu’à plusieurs endroits, les blocs de béton ne suivent pas le tracé communiqué par la Maison Blanche. Ils débordent, parfois de plusieurs centaines de mètres, à l’intérieur de l’enclave.
Nous vivons ici et nous ne connaissons aucun bloc ni panneau qui prouve ce qu’ils disent
« On est face à une ligne virtuelle, mouvante, censée être temporaire, mais que certains considèrent désormais comme potentiellement permanente », déplore Carine Thibaut, directrice d’Amnesty International Belgique. « Une ligne également mortifère : des habitants meurent simplement parce qu’ils ignorent qu’ils se trouvent dans la zone jaune », continue-t-elle.
Selon plusieurs sources locales, 93 Palestiniens auraient été tués pour avoir franchi cette ligne.
Parmi eux, Fadi et Goma, deux frères de 8 et 11 ans, partis chercher du bois pour leur père handicapé. Ils ont été tués par un drone. L’armée israélienne parle de deux « suspects » considérés comme une menace en raison de leur mouvement. « Des frappes aériennes ont visé la zone que les autorités israéliennes appellent « zone jaune », mais nous vivons ici et nous ne connaissons aucun bloc ni aucun panneau qui prouve ce qu’ils disent. Ces enfants ne savaient même pas où ils allaient », lance Abou, l’oncle des deux enfants.
Des vidéos filmées par des Gazaouis montrent le déplacement progressif de ces blocs jaunes, déplacés jour après jour par l’armée israélienne. « Il y a deux craintes aujourd’hui. La première : que la situation actuelle devienne permanente, et que cette ligne jaune devienne une ligne de division de facto. La seconde : que l’indifférence gagne, et que le droit international et les droits humains cessent d’être la boussole pour décider de l’avenir de Gaza », prévient Carine Thibaut.
Début décembre, le chef de l’armée israélienne a déclaré que la ligne jaune représentait la nouvelle frontière. Depuis, cette zone ne cesse de s’étendre : l’État hébreu contrôle désormais 58 % de la bande de Gaza, et non 53 % comme initialement annoncé.

















