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"J'ai peur qu'il meure en prison": le combat de Jean-Philippe pour ramener son fils malade de Hongrie

Adrien Rensonnet (à gauche) est incarcéré en Hongrie depuis 3 ans pour trafic de migrants ayant entrainé la mort. Les soins pour son diabète et son œil blessé étant inadaptés voire inexistants dans sa prison, il a demandé à purger ses 8 ans fermes en Belgique. Une demande refusée par la Hongrie car ici, il pourrait bénéficier d'une libération conditionnelle. Jean-Philippe, son père (au centre), craint sérieusement de le voir mourir en prison avant la fin de sa peine. Il appelle son pays à l'aide.

Adrien Rensonnet vient de la région verviétoise et a 27 ans. En février 2022, il est arrêté en Hongrie pour trafic de migrants. "Il a été contacté par quelqu'un en Belgique et cette personne lui a dit "tu vas gagner de l'argent facile", et il est tombé dans le panneau. Il a loué une camionnette et il transportait 27 migrants. Il s'est fait arrêter mais il a tenté un délit de fuite et dans sa tentative de délit de fuite il a fait un accident qui a causé la mort d'un migrant et des blessures pour quelques autres personnes dans le véhicule."

Immédiatement incarcéré, Adrien est finalement jugé le 8 mai 2024 : 8 ans de prison sans aucune possibilité de libération conditionnelle. Il les purge à la prison de Szeged, non loin de la frontière serbe. Un pénitencier de 1462 détenus nommé Csillag, qui date de 1884 et qui compte la plus forte concentration de longues peines de tout le pays.

Prison de Szeged

Il doit s'injecter son insuline à l'aveugle

Dès l'annonce du jugement, Adrien et son papa entament les démarches pour une procédure de transfèrement vers la Belgique. "La raison principale est qu'il a de gros problèmes de santé. Il souffre du diabète et il doit s'injecter cinq fois par jour. Il a aussi été blessé à un œil lors de l'accident, un décollement de la rétine. Cette blessure aurait nécessité une intervention chirurgicale qui n'a jamais été faite. Cela lui provoque des migraines quotidiennes, et les conditions de détention sont évidemment catastrophiques en Hongrie", détaille Jean-Philippe.

Concernant la gestion de son diabète, son smartphone lui avait logiquement été confisqué. Sauf que c'est grâce à lui et à un capteur dans son bras qu'il mesurait sa glycémie. Au départ, "l'équipe médicale de la prison lui donnait de l'insuline, mais sans connaître sa glycémie, il s'injectait à l'aveugle, ce qui provoquait soit une hyperglycémie, soit une hypoglycémie, ce qui causera des dégâts à long terme", explique Jean-Philippe.

Un matelas sans punaises de lit grâce aux Affraires étrangères

Mais il s'est battu et a pris contact avec les Affaires étrangères. Via elles, Adrien a reçu le soutien de l'ambassade belge en Hongrie qui a mis la pression sur le directeur de la prison. "La prison lui a alors fourni un testeur … jusqu'au moment où il est tombé en panne et qu'on n'a pas voulu lui remplacer", regrette le papa, qui dénonce de nombreux dysfonctionnements. Heureusement, "les Affaires étrangères m'ont bien aidé et ont mis en place une visite consulaire où on a pu constater certains manquements" et améliorer un peu ses conditions de détention.

Par exemple, "il était dans petite une cellule fumeur où ils étaient neuf, il a été transféré dans une cellule non-fumeur où ils sont à six. Il était bouffé par les punaises de lit, il avait des taches rouges partout. Pour ça, ils viennent une fois par mois avec un produit qu'ils aspergent sur le mur, mais ils ne changent pas les matelas. On a obtenu un nouveau matelas".

La Hongrie refuse son transfèrement

Pour son diabète et son œil, l'espoir d'Adrien reposait sur sa demande de transfèrement en Begique. La Hongrie a accepté celle-ci dans un premier temps, mais "la deuxième étape de ce processus est qu'un magistrat belge doit prendre en charge le dossier. Malheureusement le magistrat a appliqué la loi belge qui comprend une libération conditionnelle au bout de X années". Inacceptable pour la Hongrie qui a prononcé une peine de 8 ans fermes. "Eux, ils sont dans l'esprit qu'il va rester huit ans là et qu'en février 2030 on lui ouvrira les portes".

Il compte sur moi, et moi je compte sur mon pays

Depuis cette annonce en novembre 2024, Jean-Philippe remue ciel et terre pour trouver une solution et rapatrier son fils. "Adrien a pris un énorme coup au moral mais il tient car il compte sur moi, et moi je compte sur mon pays. Ma démarche est de le ramener, qu'il ait droit à une intervention pour son œil, qu'il ait droit à des conditions médicales humaines et à un suivi correct pour son diabète."

La loi belge ne permet pas une peine incompressible

Il multiplie les contacts avec le parquet de Bruxelles et le ministère de la Justice. Mais malheureusement, l'un comme l'autre sont dans une impasse : la législation belge. Chez nous, contrairement à la Hongie, la possibilité de libération conditionnelle est un droit accordé à toute personne condamnée à une privation de liberté.

"Le refus était motivé par la divergence entre la législation hongroise et la législation belge en matière de libération anticipée", explique le SPF Justice. Car si "le cadre des transfèrements repose sur une législation européenne, sa mise en œuvre est une compétence nationale". Et si notre pays respecte toujours les durées des peines prononcées par les juridictions d’autres États membres de l’Union européenne, "les conditions d’une éventuelle libération anticipée ou conditionnelle relèvent du droit belge", où cette possibilité est garantie et traitée par un tribunal d'application des peines.

Forcer la main de la Hongrie ou changer la loi ?

À ce stade, deux solutions s'offrent eux. La première est diplomatique, comme lui a suggéré le parquet de Bruxelles ainsi que son avocat. "Un contact entre la ministre de la Justice belge et la ministre de la Justice hongroise", qui pourrait accepter les conditions belges.

L'autre serait de changer la loi belge pour permettre une exception, une dérogation à la possibilité de libération conditionnelle pour des peines prononcées dans un autre pays de l'UE. Ce que père et fils seraient heureux d'obtenir : "On ne demande nullement qu'on le libère avant février 2030", rappelle Jean-Philippe.

Malheureusement, "la ministre ne commente pas des dossiers individuels", nous dit le porte-parole d'Annelies Verlinden, concernant la possibilité d'un contact avec son homologue hongroise.

Ensuite, sur une éventuelle volonté politique de créer une exception dans la loi belge, il est très clair : "Il n’y a aucune raison de modifier la loi belge qui est conforme à la décision-cadre européenne qui prévoit la compétence des États de destination en matière d’exécution des peines. Le contraire reviendrait à abandonner la souveraineté de la Belgique en cette matière et créerait une discrimination avec les détenus condamnés en Belgique qui purgent leur peine en Belgique."

Une dernière demande envoyée à la Hongrie

Dernier espoir à ce stade, une tentative émanant cette fois du SPF Justice. Le ministère a transmis le 30 avril dernier une proposition de transfèrement aux autorités hongroises sur base d'un article de cette décision-cadre européenne, qui permet à un État membre de proposer un transfèrement de sa propre initiative même si une demande antérieure introduite par la personne concernée a été refusée. "Nous attendons actuellement la réponse des autorités hongroises à cette proposition", explique le ministère.

En attendant cette nouvelle réponse, et alors que la situation qui a motivé le premier refus n'a pas changé, Jean-Philippe continue son combat. "Je vais reprendre contact avec les Affaires étrangères car la prison a bien fourni récemment à mon fils un testeur de glycémie mais pas les tigettes nécessaires pour se tester...."

Adrien Rensonnet en prison en Hongrie

Il a un pédigrée qui ne parle pas pour lui, mais il a un bon fond

Un fils au parcours cabossé, qu'il n'a pas toujours soutenu de la sorte. "Adrien, c'est un enfant turbulent depuis tout jeune", raconte son papa. Après le divorce de ses parents lorsqu'il a 7 ans, il déclenche un diabète après une relation toxique avec son beau-père. "Adrien s'est révolté, il vivait très mal cette sale maladie et toutes ses contraintes."

S'ensuivent de nombreux échecs scolaires pour "un garçon qui a commencé à fréquenter des mauvaises personnes et a commencé à faire des petites bêtises". Sa première expérience en prison, c'est peu après les attentats déjoués de Verviers en 2015. "Alors qu'il était dans une école à Liège, il a dit "moi je viens de Verviers, je connais les terroristes, on va venir mettre une bombe dans votre école". Il s'est retrouvé à la prison de Lantin. C'était l'époque où il ne fallait pas jouer avec des commentaires pareils."

Il coupe les ponts avec son fils par deux fois

À sa sortie, il a volé dans des voitures non verrouillées à Bruges. "Donc il s'est retrouvé en prison à Bruges. Il a fait d'autres petites bêtises qui lui ont valu de revenir de nouveau à Lantin. Moi à ce moment-là j'avais coupé les ponts parce que je ne pouvais pas accepter", explique Jean-Philippe.

À sa dernière sortie de prison, il décide tout de même de l'aider et lui prend un avocat. "Je lui ai trouvé un appartement, on l'a meublé et deux mois après, il sous-louait son appartement à des drogués. Enfin voilà, il était retombé dans le trou. Donc là je l'ai complètement abandonné. Ça c'était en été 2021."

En voulant l'aider, il l'envoie indirectement en Hongrie

Adrien se retrouve alors à la rue mais un ami de Jean-Philippe se propose de l'aider. "Il m'a dit écoute, moi j'ai mon frère qui a des problèmes avec la justice également. Il est souvent incarcéré. Quand il sort de prison, il va à Grâce-Hollogne dans un centre où on aide ces personnes-là. On prend leurs revenus du CPAS mais alors on les nourrit, on les blanchit, on fait tous leurs papiers et on les remet un peu sur la voie."

Une bonne intention qui sera finalement à la base des problèmes actuels d'Adrien. "C'est là qu'il a rencontré la personne qui l'a envoyé en Hongrie" transporter des migrants pour gagner quelques milliers d'euros. "Et cette personne qui l'a rencardé, malheureusement c'est le frère de mon ami. Donc mon ami a proposé son aide pour mon fils et sans le savoir il l'a mis la gueule du loup", regrette-t-il.

C'est scandaleux qu'il soit abandonné

Après tout ça, Jean-Philippe a bien conscience de l'opinion que peuvent avoir les gens sur Adrien. "Il a un pédigrée qui ne parle pas pour lui, mais il a un bon fond. Si mon fils avait braqué une banque, qu'il avait attaqué quelqu'un, qu'il avait volontairement, délibérément, fait du mal, je ne bougerais pas le petit doigt pour l'aider. Mais c'est un brave garçon. C'est un naïf. C'est un garçon qui malheureusement a le défaut de se faire des mauvaises connaissances."

Si ce père continue aujourd'hui son combat, c'est pour ne pas abandonner son fils lorsqu'il a le plus besoin de lui : "J'ai peur pour mon fils, j'ai vraiment peur qu'il ne survive pas jusqu'en février 2030 dans cette prison dans ces conditions-là. Je le vois maintenant dans les appels vidéo. On a droit à un appel d'une heure par mois. Il a perdu je ne sais pas combien de kilos. À part moi il n'a pas de contact. Je ne trouve pas normal qu'il soit abandonné comme ça. Je suis dépité parce que ça reste un citoyen belge et je trouve que c'est scandaleux qu'il soit abandonné."

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