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Entrepreneur et baron breton, Noël Le Graët s'est forgé un destin national en dirigeant le football français avec poigne et habileté avant de perdre lucidité et soutiens, à 81 ans, dans une fin de règne ternie par des paroles "déplacées" et de graves accusations de harcèlement moral et sexuel.
Né un 25 décembre dans une famille pauvre des Côtes-d'Armor (nord-ouest), l'ex-président de la Fédération française de football (2011-2023) se fait un nom à Guingamp, où il fait fortune dans l'agroalimentaire, propulse le club local, l'En Avant, du monde amateur à la Coupe d'Europe et dirige la mairie.
Le fondateur du groupe Le Graët (800 salariés), spécialisé dans la pêche, les conserves et les surgelés, s'impose dans la France du foot en présidant la Ligue professionnelle (LNF, ancêtre de la LFP) de 1991 à 2000.
"NLG" renforce sa stature en procédant à un toilettage de la gestion des clubs, avec l'instauration de la DNCG (le gendarme financier des clubs français) et en entrant en collision frontale avec Bernard Tapie au moment de l'affaire VA-OM en 1993.
L'ancien représentant en électroménager et hi-fi poursuit son ascension au sein de la Fédération avec la vice-présidence en 2005 puis la présidence en 2011, en remplacement de Fernand Duchaussoy, alors que le foot français est en plein marasme.
"Il a été battu ce gentil monsieur. J'ai beaucoup d'estime pour lui mais il sort d'où là? De la naphtaline un petit peu, non? Il était président et il a été battu, je n'y peux rien", lâche-t-il en 2017 après une remarque de son prédécesseur, employant une formule acide comme souvent face aux critiques.
- "Monstre politique" affaibli -
Elu sur les ruines du fiasco de Knysna, le "Prez" comme il est surnommé au siège de la FFF, redore progressivement l'image de l'équipe de France, qu'il transforme en poule aux œufs d'or bien avant le 2e titre mondial de 2018, avec deux leviers: le juteux contrat avec Nike et la reprise en interne des droits marketing des Bleus.
Son troisième mandat complet à la tête de la FFF apparaît cependant comme celui de trop.
L'octogénaire se rend coupable de "prises de position publiques déplacées" et exerce un pouvoir "très centralisé" qui génère "des dysfonctionnements et des logiques claniques", selon la récente mission d'audit lancé par le ministère des Sports.
Son "comportement inapproprié" vis-à-vis des femmes, qui lui vaut une enquête pour harcèlement sexuel depuis mi-janvier, ainsi que "la consommation excessive d’alcool" sont également pointés du doigt par les inspecteurs.
Autrefois présenté comme un "monstre politique" par ses proches, celui qui a survécu à une leucémie lymphoïde semble avoir perdu une partie de cette habileté, s'accrochant à son poste alors que tout le monde, ou presque, le lâche.
"Il est dans le déni, convaincu qu'il n’est pas responsable, pas coupable", raconte un membre du comité exécutif de la FFF. "C'est un vieux monsieur, plus tout à fait lucide, persuadé qu'il n'a rien fait et qui ne comprend pas ce qui lui arrive", dit un autre.
- L'incendie Zidane -
Les prémices de sa chute apparaissent après le Mondial-2018 remporté par les Bleus, avec une détérioration des relations avec la directrice générale Florence Hardouin, devenues "toxiques" selon le rapport d'audit, et une multiplication des dérapages médiatiques.
Le "Menhir" appelle ainsi à ne plus arrêter les matches en cas de chants homophobes, estimant que "ce n'est pas la même chose" que le racisme. Puis il affirme que le racisme "n'existe pas ou peu" dans le football. Sa déclaration aux relents sexistes sur les Bleues qui "peuvent se tirer les cheveux" tant qu'elles gagnent, ne passe pas.
Son soutien inconditionnel au Qatar, hôte controversé de la Coupe du monde 2022, fait également grincer des dents. "C'est pas insoluble ça, c'est des coups de peinture", lâche-t-il par exemple dans l'émission Complément d'enquête qui, images à l'appui, lui montre les chambres exiguës infestées de cafards dans lesquelles s'entassent des travailleurs sous-traitant de l'hôtel des Bleus.
Le dirigeant déclenche une tempête médiatique le 8 janvier, au lendemain de la prolongation de Deschamps, en affirmant qu'il n'aurait "même pas pris au téléphone" Zinédine Zidane, intéressé par le poste. Il peut aller au Brésil, qui le convoite, "j'en ai rien à secouer", ajoute-t-il.