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Son sens politique et sa capacité à toujours rebondir n'ont pas suffi: Bernard Laporte, redoutable animal politique, touche-à-tout et fort en gueule, a dû se résoudre, cerné de toutes parts, à démissionner de la présidence de la Fédération française de rugby.
Comme un chat, Laporte, 58 ans, a eu plusieurs vies: demi de mêlée à Gaillac puis à Bordeaux-Bègles; entraîneur de Bordeaux, du Stade français ou de Toulon; sélectionneur du XV de France; colleur d'affiches pour François Mitterrand; secrétaire d'État de Nicolas Sarkozy; homme d'affaires; homme-sandwich pour du jambon ou des produits canins; consultant télé et radio; dirigeant à la FFR et à World Rugby...
Comme un chat toujours, il a semblé retomber sur ses pattes en décembre après sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis et à deux ans d'interdiction d'exercer toute fonction dans le rugby. Il avait annoncé faire appel pour conserver son poste.
Après sa mise en retrait sous la pression conjointe de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, de la Ligue nationale de rugby (LNR) et du comité d'éthique de la FFR, Laporte pensait avoir trouvé la parade en nommant le vice-président Patrick Buisson comme président délégué jusqu'au procès en appel.
L'atterrissage a finalement été douloureux: les quelques 1.500 clubs du rugby français, en refusant cette décision par référendum jeudi, ont infligé un camouflet à Laporte, qui a démissionné vendredi.
Le natif de Rodez, récemment désigné homme le plus influent du rugby mondial par le magazine Rugby World, ne s'est jamais soucié des "on-dit", lâchant ce qu'il pense, avec son accent du Sud-Ouest et à sa façon, quitte à bousculer les codes. Voire à choquer.
Un jour de juillet 1985, il survit à un grave accident de voiture, qui le plonge une semaine dans le coma: "le moment le plus important de ma vie", avait ensuite confié l'intéressé, qui s'était vu signifier par le médecin qu'il ne pourrait plus jamais jouer au rugby.
- Du sport à la politique -
Six ans plus tard, le demi de mêlée était sacré champion de France avec Bègles-Bordeaux, capitaine et chef de meute de la terrible première ligne formée par Serge Simon, Vincent Moscato et Philippe Gimbert, surnommés "Les Rapetous".
Question combat, l'ancien coach des Bleus s'y connaît, lui qui a toujours fait de la domination physique, appuyée par une solide conquête, la pierre angulaire du jeu pragmatique de ses équipes.
C'est ainsi qu'il a hissé le Stade français de la troisième division au titre de champion en 1998, avant de tout rafler avec le RC Toulon: trois Coupes d'Europe (2013, 2014 et 2015) et un Bouclier de Brennus (2014).
Son palmarès à la tête du XV de France a lui été marqué par deux Grands Chelems en 2002 et 2004, mais aussi par des défaites en Coupe du monde, en demi-finales en 2003 et surtout en 2007, à domicile.
Passé à la politique, il a été secrétaire d'État chargé des Sports du gouvernement Fillon II entre octobre 2007 et juin 2009. Une courte pige, au bilan contesté, avant de revenir au rugby.
Car la boule de nerfs aux lunettes rondes ne reste jamais bien loin du ballon ovale. D'abord comme entraîneur à succès du RCT puis comme dirigeant.
Élu à la tête de la FFR en 2016, "Bernie" est réélu en 2020 quelques jours après avoir été placé en garde à vue par les policiers de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE).
- "L'adversité, il a besoin de ça" -
Celui qui a réussi le tour de force d'apaiser les tensions entre la Ligue et la Fédération a aussi été prépondérant dans l'obtention par la France de l'organisation de la Coupe du monde 2023.
Connu pour ses colères noires, Bernard Laporte n'hésite pas à trancher dans le vif, notamment en remplaçant Guy Novès par Jacques Brunel sur le banc des Bleus, puis en imposant Fabien Galthié dans l'encadrement de ce dernier lors du Mondial-2019.
"Bernard ne se laissera jamais faire, il dira toujours ce qu'il pense et il est sans concession. Ce n'est pas quelqu'un que l'on peut acheter, amadouer. Ce n'est pas un oiseau dont on peut fermer la cage", a expliqué son ancien président à Toulon, Mourad Boudjellal.
"L'adversité, il a besoin de ça. Il se façonne là-dedans", a également estimé Serge Simon, son ami et actuel vice-président de la FFR, à ses côtés sur le banc des prévenus en décembre mais relaxé pour sa part.