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Le skieur Alexis Pinturault, sacré champion du monde du combiné mardi dans sa station de Courchevel, a dû apprendre à slalomer entre son personnage public de sportif à succès et le caractère solitaire d'une âme sensible.
La montagne, son silence, les grands espaces pour les balades avec sa femme Romane et leur chienne Joia. La montagne, ses pistes de ski dévalées à toute vitesse, la foule qui l'acclame à l'arrivée, les selfies imposés et les caméras de télévision.
Cette ambivalence résume la vie d'Alexis Pinturault, enfant des Alpes et graine de champion dont la destinée a été commentée et dirigée depuis le plus jeune âge, au-delà sûrement des aspirations à un bonheur simple du principal concerné.
À même pas 20 ans, en mars 2011, le prodige monte sur un premier podium du circuit mondial à Kranjska Gora (Slovénie) et révèle un talent polyvalent annoncé comme "le nouveau Killy".
Travail, sérieux, rigueur, telle est l'éthique du blond aux yeux bleus et à la mâchoire carrée, forgée quand il était gamin d'après les mantras de son père Claude, propriétaire de deux hôtels de luxe dans la station chic de Courchevel. "Le deuxième c'est le premier des derniers", tance le paternel, coutumier des phrases-chocs.
"Mes enfants iront à l'internat. Le cadre, la structure, la discipline, j'ai vachement aimé", assure à l'AFP le skieur, ex-interne au lycée d'Albertville, où l'on forme les futurs cadors des pistes.
- "Complètement cuit" -
Slalom, géant, combiné, super-G, dès ses premières années en équipe de France senior "Pintu" brille partout, saute de course en course, traverse les Alpes, répond aux attentes des autres et aux siennes, élevées, par des victoires.
En février 2017, la cocotte explose aux Championnats du monde de Saint-Moritz (Suisse). Après un zéro pointé, le timide et distant Alexis, la mâchoire serrée comme jamais, s'effondre en larmes en zone mixte.
"Cet hiver-là, Alexis se retrouve sans référent (en équipe de France, à cause de sa polyvalence). Il se débrouille tout seul et en janvier il est complètement cuit, il finit par craquer et péter les plombs. Face à ce constant d'échec global, il a failli arrêter", raconte son père à l'AFP.
Pinturault décide de reprendre en main son destin, s'écarte de l'équipe avec sa propre structure, en accord avec la fédération, prend ses quartiers d'hiver en Autriche, le vrai pays du ski. Il révèle alors et assume, peut-être, une nature plus tranquille et solitaire.
"Plus jeune c'était difficile de trouver ma place, j'étais parfois embringué dans un système, dans de situations qui me déplaisaient, où je ne me sentais pas confortable. On m'obligeait à certaines choses. Aujourd'hui, j'ai mûri et je suis plus à même de dire non. Ça m'a permis de me réapproprier mes performances, ce qui m'entourait, mes entraînements, ma manière de fonctionner", explique-t-il.
- "Honnête" -
Le champion, né le 20 mars 1991 à Moutiers (Savoie) accumule les trophées comme aucun skieur français avant lui: six médailles mondiales individuelles, dont deux titres, trois podiums olympiques (3e du géant en 2014, 3e du géant et 2e du combiné en 2018) et 75 podiums en Coupe du monde pour 34 victoires.
Avec l'âge, la trentaine désormais dépassée, il s'épanche plus volontiers sur ses sentiments, lui l'émotif dont les larmes ont humidifié l’aride montagne chinoise de Yanqing, d'où il était reparti blessé et sans médaille il y a un an aux Jeux olympiques.
"Les années passent et j'essaie de changer, de m'ouvrir un peu plus, mais à la base je suis relativement pudique, assez montagnard. Mais j'ai toujours été quelqu'un de très honnête vis-à-vis de moi-même et des gens autour de moi, ça fait partie de mon éducation. On m'a appris à ne pas mentir, donc je ne sais pas mentir."
D'une honnêteté parfois candide, "Pintu" maîtrise désormais l'exercice de l'apparition publique, où il apparaît souriant et raconte ce qu'il pense, quitte à égratigner les instances de son sport.
Qu'aurait fait cet esprit cartésien s'il n'avait pas excellé planches aux pieds?
"J'aurais pu continuer le business familial, travailler comme architecte, dans le génie civil ou comme ingénieur mécanique. J'aime la conception. Mais en fait ingénieur mécanique j'aurais eu peur de manquer de nature, d'extérieur. J'ai besoin d’être toujours dehors."
Perché sur le podium des Championnats du monde, mardi après-midi, l'imposant massif de la Vanoise lui fait face, au loin. A ses pieds, la foule acclame son champion.