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L'Empty Quarter, océan de sable aussi paisible qu'inhospitalier, doit être l'"apothéose" du Dakar 2023 en Arabie saoudite, avec une étape marathon répartie sur deux jours, jeudi et vendredi. Sublimé par les écrits de Wilfred Thesiger, ce désert des déserts reste une terre d'exploration pour les sportifs, fascinante et fragile.
Surnommé "la demeure du silence", le désert Rub al-Khali (en français "le Quart vide") se déploie sur l'Arabie saoudite, Oman, les Emirats arabes unis et le Yémen. Avec 650.000 km2, sa superficie égale celle de la France, la Belgique et les Pays-Bas réunis, son aura celui des grands interdits pour les aventuriers européens.
"Seuls les bédouins peuvent vivre ici", commentait le Britannique Thesiger, l'un des premiers Occidentaux à avoir traversé en 1946-1947 ce désert impitoyable aux couleurs rouge, miel ou dorée, plus grande étendue ininterrompue de sable au monde.
Il pleut moins de 35 mm par an en moyenne dans cette fournaise aux nuits froides, et les colosses dunaires peuvent dépasser les 250 mètres de haut. "C'est un endroit où on ne s'aventure pas seul", écrit Thesiger.
"Assurément il y aura des difficultés à tenir le cap, mais c'est ce que j'aime", commente Mathieu Baumel, copilote de Nasser Al-Attiyah en tête au général avec leur Toyota.
- Terre d'exploits -
Le Dakar n'est pas le seul à faire de ce décor exceptionnel un théâtre de défis extrêmes.
En décembre 2021, le coureur finlandais Jukka Viljanen se lance le pari fou d'avaler en 25 jours 1.300 km dans ce désert.
En janvier 2016, ce sont trois marcheurs intrépides, leurs guides locaux et leurs chameaux qui bouclent un périple de 50 jours entre le sud d'Oman et le Qatar via de vastes étendues inhabitées en Arabie saoudite.
En se frottant aux tempêtes de sable, scorpions et serpents, l'explorateur britannique Mark Evans, à la tête de l'équipe, retrace ainsi la distance parcourue en 1930 par son compatriote Bertram Thomas, qui, en dépit de la menace de tribus et de la recherche constante d'eau, avait mis 57 jours pour réaliser son expédition 85 ans plus tôt.
Leur traversée a été scrutée par des scientifiques, dont Nathan Smith de l'université de Northampton. Ils ont étudié les processus psychologiques dans cet environnement hyper aride et ces conditions extrêmes, et les défis que cela pose, similaires aux voyages dans l'Arctique et l'Antarctique, en termes de stress notamment.
- "disparition irrémédiable" -
L'Empty Quarter et son amas exceptionnel de sable est également un terrain de jeu pour les scientifiques.
L'un des trésors des dunes est de retenir l'humidité sous leur surface, "ce qui est crucial pour la survie des micro-organismes présents dans le sable, et en conséquence, de permettre à la vie d'y exister malgré les rigueurs du climat", explique Michel Louge, professeur émérite à l'université américaine de Cornell.
Dans ce contexte, des scientifiques ont montré que "chaque dune possède un microbiome unique qui le différencie de dunes adjacentes, alors que les organismes plus complexes, tels qu'insectes ou reptiles, sont relativement moins différentiés d'une dune à l'autre", poursuit Michel Louge.
"Les microbes n'ont pas l'avantage de petites pattes pour passer d'une dune à l'autre. De ce fait, la destruction d'une dune implique la disparition potentielle de microbes de façon irrémédiable", indique le scientifique.
Or, "toute activité anthropique n'est pas neutre", relève Clément Narteau de l'Institut de physique du Globe de Paris. "Si d'un point de vue mécanique, une trace de véhicule dans la dune n'est pas très grave - cela change un peu sa dynamique mais un vent peut lui faire retrouver sa forme -, cela peut l'être sur la faune car, dans un tel milieu aride, l'écosystème est plus fragile".
Autre "gros problème" selon lui: l'impact des véhicules sur les dunes en bord de mer, alors que le Rub al-Khali va jusqu'au Golfe aux Emirats arabes unis.
"Si des 4x4 roulaient sur les dunes qui bordent l'Atlantique, cela les rendrait plus faibles pour protéger des assauts du littoral", dit-il.
"Les régions arides sont parmi celles qui devraient inspirer le plus de respect, relève le Pr Louge, car elles démontrent comment la vie est capable de s'adapter à des conditions atmosphériques extrêmes, ce qui, je le crains, est l'avenir de la planète si rien n'est fait pour l'éviter."