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Des cigarettes qui paraissent anodines en apparence, mais qui sont en réalité illégales. Depuis quelques années, les ateliers clandestins se multiplient en Belgique, les perquisitions s'enchaînent. Pourquoi ce commerce illégal se développe-t-il autant ?
Des cigarettes à prix réduit et des paquets de plus en plus réalistes : les contrefaçons, issues d'ateliers clandestins, sont de plus en plus nombreuses sur notre territoire. Selon une étude menée en Belgique par l'industrie du tabac, une cigarette sur dix est commercialisée illégalement.
Dans un entrepôt désaffecté, situé à Marchienne-au-Pont, les enquêteurs de la douane viennent de découvrir une imprimerie clandestine. Ici, pas de cigarettes, mais 300.000 paquets et petites boîtes en carton destinés au marché de la contrefaçon. "Ce sont des paquets de Marlboro, des cigarettes qui sont destinées à l'Angleterre. Comme vous voyez, il y a des mentions en anglais sur les paquets", montre un douanier.
De l'encre, plusieurs machines imposantes et pour les alimenter, un groupe électrogène situé dans la pièce voisine ; des installations presque professionnelles, même si l'utilisation qui en est faite est totalement illégale.
Une main-d'œuvre exploitée
Régulièrement, la douane perquisitionne des lieux suspects comme des hangars et des entrepôts. En mars 2024, 12 millions de cigarettes sont saisies à Gilly sur le site de production. Neuf ressortissants ukrainiens et portugais sont arrêtés, de la main-d'œuvre recrutée par des réseaux criminels et ensuite enfermée dans ces bâtiments et mise à contribution jour et nuit pendant plusieurs semaines.
"Ils vivent ici, dans un climat où il n'y a pas beaucoup d'aération, ils sont enfermés avec beaucoup de poussière, de tabac. C'est quelque chose qui les irrite fortement et donc on retrouve des sirops en quantité pour les soulager et éviter qu'ils toussent", ajoute un autre douanier.
Ce sont des bandes qui sont basées sur l'ensemble du territoire européen
Ce phénomène se développe de plus en plus, selon les autorités. L'année dernière, 12 fabriques illégales ont été démantelées aux quatre coins du territoire, soit plus de 270 millions de cigarettes et un manque à gagner de 130 millions d'euros pour l'État. "On a des agents qui vont faire des enquêtes sur ces fabriques illégales de cigarettes. Ce sont des enquêtes au long cours avec des échanges d'informations internationaux, parce que ce sont des bandes qui sont basées sur l'ensemble du territoire européen", explique ainsi Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances.
La marchandise illégale est notamment exportée vers la France et le Royaume-Uni où les prix des cigarettes sont particulièrement élevés. En moindre quantité, elle est également vendue chez nous en pleine rue dans certains quartiers bruxellois, mais aussi en ligne. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de pages proposent des paquets à prix réduit. Seuls quelques messages suffisent pour les obtenir.
Traçabilité
Le SPF Santé Publique combat la contrefaçon quotidiennement grâce à des contrôles sur Internet et dans les magasins. Sur chaque paquet de cigarettes officiel se trouve un petit code-barres. Une fois scanné, ce code assure une certaine traçabilité "et permet ensuite de savoir à quel moment ce paquet a été fabriqué, à quel moment il a quitté l'usine, à quel moment il arrivait chez un premier grossiste, vers un deuxième grossiste et à quel moment il a quitté le dernier grossiste pour aller jusque chez le détaillant", détaille Mathieu Capouet, expert tabac au SPF Santé Publique.
Des dispositions qui ne semblent pourtant pas freiner les trafiquants. Pour mieux les identifier, le groupe Philip Morris, fabricant de produits à base de tabac, a développé son propre service de lutte contre le commerce illicite. "La Belgique est un pays de production et de consommation de produits illicites. C'est un business relativement lucratif, il y a beaucoup d'argent dedans", confie l'une des employés de l'entreprise.
"C'est hyper rentable"
Elle affirme qu'il est possible d'importer des feuilles de tabac en toute légalité lorsqu'elles ne sont pas transformées. Quant aux machines, l'explication est plutôt surprenante : "Si vous allez sur le site d'Alibaba, c'est possible d'acheter des machines pour fabriquer des cigarettes. On peut construire une fabrique relativement vite pour un million et demi d'euros. Ce n'est pas hyper difficile, ce n'est pas hyper cher, mais c'est hyper rentable".
Si les produits ne sont pas accessibles à des prix raisonnables, les consommateurs vont chercher ailleurs
Selon l'entreprise, la Belgique contribuerait d'une certaine manière au développement du commerce illicite en augmentant régulièrement les taxes sur les paquets légaux. Celles-ci représentent aujourd'hui 85% du prix d'une cigarette.
"Augmenter les taxes en Belgique, ça favorise vraiment le trafic illicite, c'est très clair, parce qu'il y a une certaine demande pour ces produits. Et si les produits ne sont pas accessibles à des prix raisonnables, les consommateurs vont chercher les produits ailleurs", avance Frederic Renyart, directeur des Affaires externes chez Philip Morris.
Puisque les contrefaçons ne sont pas contrôlées, elles sont plus nocives pour la santé. "Qu'on tombe d'un huitième étage ou d'un douzième étage, ça fait toujours très mal quand on tombe", illustre Martial Bodo, tabacologue. "Alors on va dire que, allez, imaginons que les cigarettes dites officielles, c'est le huitième étage, les autres, c'est le douzième. C'est pour ça la cigarette qu'on n'allume pas sera la moins toxique".
Les autorités tentent de trouver un équilibre entre la volonté d'établir une société sans tabac et la lutte contre ces réseaux de contrefaçon. La plupart du temps, les ouvriers qui travaillent dans ces fabriques sont arrêtés, entendus et ensuite relâchés. Quant aux personnes qui sont à la tête de ces réseaux, elles ont encore une peine allant de 4 mois à 5 ans d'emprisonnement, ainsi qu'une amende de plusieurs milliers, voire millions d'euros en fonction de l'ampleur de la production.

















