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L'atelier de viande liégeois Franthymon au bord de la faillite: 68 employés mis en chômage temporaire pour force majeure

L'atelier de viande liégeois Franthymon est au bord du gouffre financier. À tel point que son activité a été suspendue et ses 68 employés placés sous chômage temporaire. Travailleurs et syndicats s'offusquent. "Un gros bordel", dénonce l'un d'entre eux. De son côté, la direction avance divers facteurs qui expliquent, selon elle, cette situation.

"Lundi, nous avons ont été convoqués par le patron afin de nous signaler gentiment qu'on ne travaillerait plus. La société fait faillite". Via le bouton orange Alertez-nous, Hector (prénom d'emprunt car il veut garder l'anonymat) nous apprend que l'atelier de viande liégeois Franthymon se retrouve dans une situation financière très compliquée. Face au mur, l'entreprise envisage de se séparer de ses employés. 

Depuis près de 15 ans, Hector est chauffeur poids-lourd. Il y a quelques années, il rejoint la société Derwa, spécialisée dans la transformation de la viande. En 2018, l'entreprise basée à Liège est rachetée par un consortium formé de trois entreprises flamandes et de deux wallonnes. Peu après ce rachat, l'entreprise change de nom et se restructure. Elle devient "Viande de Liège". Via un plan d'investissement ambitieux, les nouveaux actionnaires, rassemblés sous l'enseigne "Belgian Meat Partners", espèrent redonner un second souffle à la société. Quatre millions d'euros sont injectés.

Pourtant, cela ne suffit pas. 

La croissance espérée n'a pas été au rendez-vous. En 2018, l'entreprise a enregistré 70 millions d'euros de revenus, en recul de 5 millions, alors que les actionnaires espéraient un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros. 

Il y avait des retards, c'était un gros bordel

En 2019, "Viande de Liège" se sépare de son activité "viande porcine" qu'elle vend à la société liégeoise Franthymon. Après ce rachat, Hector travaille désormais pour Franthymon. Toujours à son poste de chauffeur, il s'affaire à livrer la viande de l'abattoir à des boucheries et grandes surfaces, "partout en Belgique". Mais voilà, peu à peu, Hector constate que l'entreprise vacille. "J'ai constaté une mauvaise gestion dans les achats, dans le travail, dans la gestion des prestations. Il y avait des retards, c'était un gros bordel", assure notre témoin.

Face à cela, Hector doute de la pérennité de son entreprise. Et ce qu'il craignait finit par arriver. "Vendredi, on a reçu un sms nous disant de ne pas venir travailler lundi. On nous a juste convoqués à une réunion lundi matin avec le patron, raconte-t-il, et lundi, on nous a dit qu'à partir d'aujourd'hui, on ne travaillerait plus, qu'on était au chômage pour cause de force majeure. On nous a expliqué qu'ils (les patrons ndlr) allaient faire le nécessaire pour sauver le plus de monde et donc ne pas se mettre en faillite totale mais que ce n'était pas gagné". 

Depuis, Hector n'a donc pas repris le volant de son camion. Prêt à se serrer la ceinture "pendant une semaine ou deux", il regrette une "mauvaise gestion" de la part des responsables. Aujourd'hui, persuadé que le travail ne manque pas dans son secteur, il ne craint pas pour son avenir. "Grâce à mon métier de chauffeur poids-lourd, je sais que je vais pouvoir retrouver du travail très rapidement. Mais je pense à ceux qui travaillent dans les ateliers, dans les bureaux, à ceux qui s'occupent de prendre les commandes. Pour eux, ce sera plus compliqué", confie-t-il. 

Chômage temporaire pour cause de force majeure pour 68 employés

Afin de nous éclairer sur la situation de l'entreprise, nous prenons contact avec Olivier Machiels, le patron de Franthymon. Il accepte de répondre à nos questions et de dresser un état des lieux précis. "Le 8 octobre dernier, le banquier principal de l’entreprise a décidé unilatéralement de supprimer une partie de notre ligne de factoring, soit nos facilités de crédit. Ce qui a entraîné une perte de liquidités de l’entreprise. Il n’a dès lors plus été possible de payer nos marchandises pour le début de semaine. Impossible de payer nos fournisseurs, le personnel mais aussi les frais que l’on doit payer quotidiennement", nous explique-t-il. 

En économie, le factoring permet de disposer rapidement de l'argent de factures ou créances clients sans en attendre leur échéance. Jusqu'à présent, la banque avançait les règlements et prenait ainsi en charge les factures liées à Franthymon. Cela permettait à l'entreprise de payer la viande à ses fournisseurs. 

Mais depuis plusieurs mois, la trésorerie de l'entreprise s'est grandement fragilisée. Les rentrées d'argent étant de moins en moins importantes, la banque a décidé de retirer ses facilités d'avance. Dès lors, impossible pour Franthymon de se procurer des marchandises. "Sans marchandises, nous ne pouvions pas commencer la semaine. Nous avons donc réuni les membres du personnel. Nous avons expliqué que nous cherchions une solution face à la situation", nous résume Olivier Machiels. 

Une trésorerie fragilisée par plusieurs facteurs

L'ensemble du personnel a donc été mis au chômage temporaire pour cas de force majeure. "Nous avons fait une réclamation auprès de la banque pour voir ce qu’il était possible de faire. À ce jour, nous n’avons pas reçu de réponse positive de la banque", explique le patron. Au total, 68 salariés sont concernés car ils travaillent directement avec Franthymon. L'entreprise fait également appel à des sous-traitants, cela représente un renfort de 25 à 30 personnes. Ces dernières se retrouvent elles aussi frappées par une interruption  - pour l'instant temporaire - de l'activité. 

Plusieurs raisons expliquent la difficulté de Franthymon. Olivier Machiels nous indique que, d'une part, certains de ses clients se trouvent en difficulté financière. Ils ont donc introduit une réorganisation judiciaire et n’ont pas payer tout ce qu’ils devaient à Franthymon. "De plus, depuis les inondations, entre 15 à 30 petits clients sont soit fermés, soit ont tout perdu. Ils ne sont donc plus en capacité de nous payer ni de nous commander la marchandise", poursuit Olivier Machiels.

Troisième raison : "Depuis mars 2020, nous sommes plongés dans une crise sanitaire. Cela a impacté nos clients qui sont les plus rentables (et qui sont aussi les plus petits). Cela concerne notamment les snacks, les restaurants. Le tout a plutôt bénéficié à la grande distribution où la marge est inférieure".

Les clients de Franthymon peuvent être classifiés en trois catégories distinctes: les "petits clients" qu'Olivier Machiels préfère appeler "les clients moins importants en terme de volumes", la grande distribution et les fabricants. Bien que leur proportion varie chaque mois, voici approximativement la répartition dans ce que chacun rapporte à Franthymon:

  • les petits clients: entre 10 à 20% du chiffre d'affaires (CA)
  • la grande distribution: environ 50% du CA
  • les grands fabricants: environ 30%

Comment expliquer les différences de marges entre les catégories de clients ? "Nous ne rendons pas le même service selon le type de clients. Pour les clients moins importants en terme de volume, nous faisons plus de livraisons pour des quantités plus petites", explique Olivier Machiels. Effectivement, ce type de clients n'a souvent pas la place pour stocker une très grande quantité de marchandise. "De plus, chez ces clients, on a presque un service à la carte", ajoute le patron. Car un boucher va plus facilement proposer des produits personnifiés à ces clients. À l'inverse, les livraisons à la grande distribution se font moins souvent, en plus grande quantité, tel un service à la chaîne. 

Pour Olivier Machiels, il est nécessaire d'avoir une pluralité de profils parmi ses clients afin de "ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier". "Pour moi, humainement, il est extrêmement important que les plus petits continuent d'avoir une place dans un schéma économique global. Il est aussi important de livrer à la grande distribution qui nous permet de générer de grands volumes, nécessaire pour l'entreprise. Dans le schéma actuel, il ne serait pas possible de n'avoir que de plus petits clients", assure-t-il. 

Une décision attendue pour la fin du mois d'octobre

Tous ces facteurs ont entraîné des coûts relativement importants au niveau de l’entreprise. "À ce stade, nous n’avons pas d’échéance de la banque. Mais à titre personnel, je décide que la situation ne perdurera pas au-delà du mois d’octobre pour ne pas maintenir le personnel dans le flou. Une décision sera prise à la fin de ce mois", confie le patron. 

Selon la position de la banque face à la situation, une faillite de l'entreprise peut être attendue. 

Concernant le personnel, sera-t-il payé pour le mois d’octobre? "Les travailleurs seront payés un jour soit par l’entreprise, soit par un fonds de fermeture. Ce que l’on ignore c’est à quelle date ils pourraient être payés. C’est pour cela que nous avions introduit le chômage temporaire pour force majeure", explique le patron. 

À noter que cette situation pourrait impacter d’autres entités qui se trouvent sur le site. C’est le cas de Joiris Distribution, spécialisée notamment dans la distribution de produits à base de viande.

De leur côtés, les syndicats regrettent un manque de communication de la part de la direction. Selon Anne-Françoise Offerman, secrétaire régionale CSC Alimentation et Services, aucune réunion officielle n'a été réalisée avant l'assemblée. "Les travailleurs sont inquiets, déçus et en colère. Il y a de grandes incertitudes pour les prochains mois", explique la secrétaire régionale. "Les travailleurs me rapportent qu'ils ont travaillé comme des fous ces derniers mois. Dans ce secteur, on sait quand on commence mais jamais quand on finit. L'arrêt de l'activité annoncée lundi a été une surprise. Les travailleurs n'ont pas été informés de la santé financière de l'entreprise", ajoute-t-elle. La secrétaire régionale nous explique être désormais dans l'attente. Une décision de la direction est attendue à la fin du mois. 

Contactée par nos soins, la Fédération Belge de la Viande (FEBEV) regrette que Franthymon se trouve dans une telle situation. Plus généralement, elle nous indique que la crise du Covid a fortement impacté le secteur "comme beaucoup d’autres entreprises qui fournissent l'Horeca et les petits commerçants, fermés". "C'est une combinaison de différents facteurs qui fait que cette entreprise et tant d'autres sont dans une situation précaire", résume Michaël Gore.

Le marché porcin actuellement assez tendu 

Comme l'explique le porte-parole de la Fédération, "le fait qu'une entreprise investisse plus ou moins" joue un rôle important. "Une entreprise qui investit a moins de liquidités, ce qui peut expliquer qu'une entreprise soit plus impactée qu'une autre", explique le représentant. 

Ce fut le cas de l'entreprise Franthymon qui, en 2018, avait racheté la branche porcine à l'entreprise "Viande de Liège" (ex-Derwa). Des investissements ont été faits et cela s'est révélé, durant un temps, payant selon le CEO. "Entre novembre 2019 et mars 2020, soit le début de la crise sanitaire, l’ensemble des objectifs étaient atteints. Nous avions retrouvé une situation identique connue par Derwa il y a 15 ans. Nous étions à 4.000 porcs par semaine, nous étions rentables. Le personnel doit se rendre compte que le travail effectué a été couronné de succès", insiste Olivier Machiels.

Enfin, selon la Febev, ces difficultés économiques ont pu être accentuées par le marché du porc "actuellement assez tendu à cause de facteurs sur le plan mondial, notamment avec la baisse des exportations de l’UE vers la Chine et par conséquent une offre en viande porcine plus grande que la demande". "Cette situation a été renforcée par la problématique de la peste porcine en Allemagne, empêchant les exportations vers les pays tiers et par conséquent renforce la surcapacité sur le plan européen", ajoute le parole de la Fédération. Avant de conclure: "Des mesures de soutien sont déjà en cours mais malheureusement il n’y a pas de solution miracle".

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