Partager:
Sa carrière a été un ballet transatlantique, et le chorégraphe Benjamin Millepied, qui présente son film "Carmen" en France, s'installe à nouveau dans son pays natal pour "retrouver une richesse culturelle", loin de Los Angeles où il se sentait "isolé".
Ex-"principal dancer" au New York City Ballet (équivalent de danseur étoile à l'Opéra), ancien directeur de la danse à l'Opéra de Paris, le Franco-Américain vient de lancer le "Paris Dance Project", inspiré de sa compagnie L.A. Dance Project créée il y a 10 ans à Los Angeles.
Une identité trop multiple? "Je ne veux pas me soucier de ça", répond le chorégraphe de 45 ans dans un entretien avec l'AFP, avant de remonter sur scène pour danser aux Nuits de Fourvière, à Lyon, accompagné du pianiste Alexandre Tharaud (13-15 juin).
"Pourquoi vivre la vie si ce n'est pas pour aller dans les endroits qui nous inspirent et dont nous avons envie?", demande-t-il.
"Ce n'est pas du tout une ambition sans fond, ce sont des expériences que j'ai envie d'avoir", souligne encore l'artiste originaire de Bordeaux, qui s'est fait connaître à l'international en signant la chorégraphie du film "Black Swan" de Darren Aronofsky, où il a connu son épouse Natalie Portman.
- Poétique et politique -
Avec son premier long-métrage "Carmen" (déjà sorti aux Etats-Unis et en salle en France le 14 juin), il estime que le cinéma, une expérience qu'il a envie de répéter, est une "continuation" de son travail chorégraphique.
Pas étonnant qu'il compare ce film à un ballet, tant la danse semble un personnage à part: "C'était un parti pris d'écrire un drame avec de la musique (signée Nicholas Britell) et de la danse, ce qui n'est pas si courant que cela. Ca amène quelque chose de plus poétique, de plus mystique".
Poétique, certes, mais également très politique: inspirée de la célèbre nouvelle de Prosper Mérimée et de l'opéra éponyme de Bizet, l'histoire est revisitée et située à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
Le parcours de Carmen (Melissa Barrera) devient un drame sur l'immigration; Don José est rebaptisé Aidan (Paul Mescal), un soldat américain atteint de stress post-traumatique qui patrouille à la frontière.
Millepied semble avoir tourné la page américaine pour monter notamment le Paris Dance Project, un incubateur de talents chorégraphiques en Ile-de-France qu'il a lancé la semaine dernière avec sa collaboratrice Solenne du Haÿs Mascré.
"J'ai voulu rentrer à Paris pour retrouver une richesse culturelle et quitter Los Angeles où je me sentais isolé", confie le chorégraphe, qui a également souhaité ce retour pour le bien de ses deux enfants nés de son union avec Natalie Portman.
Malgré le succès du L.A. Dance Project, qu'il affirme ne pas vouloir diriger "indéfiniment", "développer un projet culturel aux Etats-Unis est très difficile. Là, en France, j'ai la possibilité d'aller au bout de certains rêves, d'avoir davantage de fonds", explique-t-il.
Derrière le Paris Dance Project, une ambition sociale de former de jeunes chorégraphes à travers un campus chorégraphique au Hangar Y de Meudon (Hauts-de-Seine) et faire découvrir la danse à des jeunes franciliens.
"Même si Paris est très ouvert, il reste un cloisonnement et des institutions où le public n'est pas renouvelé", précise Millepied, pour qui "il y a encore beaucoup de fantasmes sur la banlieue".
En 2024, il lancera aussi "La Ville dansée", où des créations de chorégraphes d'Ile-de-France seront présentées dans des lieux inattendus et emblématiques de la capitale.
"On voit le budget des institutions culturelles baisser; c'est aussi ça l'intérêt de créer des organisations nouvelles qui pourront plus facilement offrir des possibilités", dit-il.
Pour lui, "l'art vivant" a un rôle primordial à un moment "où on nous dit que la technologie va tout sauver".
"C'est une bagarre; je le vois, j'ai deux enfants; quelle expérience du monde ai-je envie de leur offrir? On vit un tournant", souligne-t-il.