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Avec une flotte de réacteurs nucléaires à construire, EDF et son capitaine tout juste arrivé à la barre sont à l'aube de chantiers immenses sur un champ de ruines financières et sur fond de climat social tendu.
Le géant électricien s’apprête à annoncer vendredi une dette stratosphérique dépassant les 60 milliards d'euros (après 43 milliards en 2021) et des pertes colossales au terme d’une année noire, plombée par les déboires de son parc nucléaire mais aussi par sa mise à contribution forcée au "bouclier tarifaire" des Français.
Pourtant l'année 2022 n'a pas toujours été chaotique pour EDF.
Il y a un an presque jour pour jour, à Belfort, le président Emmanuel Macron annonce vouloir construire jusqu'à 14 réacteurs nucléaires EPR de seconde génération et "prolonger tous les réacteurs" actuels "qui peuvent l’être" au-delà de 50 ans. Une stratégie pour l'avenir énergétique du pays se dessine après des années d'atermoiements des gouvernements, dont "on ne savait pas trop s'ils étaient pro-nucléaires ou non", souligne Jacques Percebois, professeur émérite à l’université de Montpellier où il dirige le Centre de recherche en économie et droit de l'énergie.
Au même moment, EDF, qui éclaire des millions d'Européens, est déjà en train d'affronter une crise industrielle inédite, liée à la découverte de corrosion sur des tuyauteries cruciales pour la sûreté des centrales nucléaires. Le groupe doit enclencher une vaste campagne de contrôle et réparation, de quoi perturber un programme de maintenance déjà retardé par le Covid. Résultat: en 2022, entre corrosion et arrêts programmés, la moitié de ses 56 réacteurs s’est parfois retrouvée à l’arrêt au même moment, menaçant le pays de coupures électriques en plein hiver.
Finalement, le pire a été évité grâce aux importations d'électricité, aux efforts de sobriété des Français ainsi qu’à la course d'EDF pour rebrancher ses réacteurs.
Il n'empêche: la note sera salée pour l’électricien, qui aura enregistré en 2022 une production nucléaire historiquement basse de 279 TWh. En octobre, EDF estimait déjà à 32 milliards d'euros l'impact financier de cette faible production, en partie liée aussi à une grève pour les salaires dans ses centrales.
- Plus de watts -
Dans le même temps, EDF n'a pas pu se rattraper avec la flambée des cours de l'électricité qui a suivi la guerre en Ukraine. Car pour contenir la facture des Français grâce au bouclier tarifaire, l'Etat, actionnaire majoritaire, a obligé le groupe à vendre en 2022 davantage d'électricité à bas prix à ses concurrents, fournisseurs d'électricité alternatifs. Une mesure au bénéfice des particuliers comme des industries qui aurait permis, selon l'Etat, d'éviter la fermeture de 150 entreprises énergivores, mais avec un coût exorbitant pour l'opérateur historique: 8,34 milliards d'euros.
Ce mécanisme appelé Arenh a été bâti par la France en 2010 pour essayer de rester dans les clous de la concurrence imposée par Bruxelles. Comment? En obligeant EDF à céder à ses concurrents une part de sa production nucléaire (100 TWh) au prix coûtant de 42 euros le MWh. "Mais le tarif n'a jamais bougé", le groupe est "plombé" et "aujourd'hui, on dit qu'il faut investir", observe Jacques Percebois.
Une dette abyssale? "On ne sera pas tout seul", fait valoir EDF puisque l'Etat compte renationaliser à 100% l'entreprise et ainsi avoir les coudées franches pour son ambitieux plan nucléaire. L'objectif est clair: "produire plus" d'énergie décarbonée et "plus il y aura de mégawatts, et mieux EDF se portera", clamait en décembre le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
Comment financer le nouveau nucléaire? La question n'est pas tranchée, mais "à un moment donné, il faudra bien que l'Etat injecte de l'argent", souligne Martine Faure, cheffe de file des actionnaires salariés d’EDF dans la bataille contre l'OPA que l'Etat mène sur EDF.
Pour l'heure, l'Etat a chargé un nouveau PDG, Luc Rémont, de prendre en main les chantiers cruciaux. Avant même de construire les nouveaux EPR, au coût estimé d’au moins 52 milliards pour six unités, EDF doit gérer la prolongation de son parc vieillissant et continuer à investir dans les énergies renouvelables.
Le tout dans un contexte social électrique avec des effectifs qui craignent de voir disparaître leur régime spécial des retraites et qui redoutent, malgré les démentis de l'Etat, que la renationalisation soit une étape vers la réorganisation du groupe.