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Stocks, crédits sans fin, consommation éperdue... les tactiques des Argentins face à l'inflation

Certains stockent, pour se prémunir d'un prix imprévisible dans trois ou quatre semaines. D'autres jonglent avec les 2e, 3e marques, ou les mensualités infinies.

D'autres enfin consomment comme si demain n'existait pas... Face à une inflation insensée, chaque Argentin a sa stratégie, chacun fait comme il peut.

Restaurants bondés, files d'attente au cinéma, méga-concerts aux billets épuisés en quelques heures... Un visiteur étranger à Buenos Aires serait par endroits frappé par l'apparente contradiction entre un pays à 114% d'inflation (sur les douze derniers mois), dangereusement proche de l'insolvabilité, mais débordant de consommation, de vie... Vitalité du désespoir ?

"En tant que société, on est épuisés par les problèmes économiques. Tellement habitués à vivre depuis des années sans stabilité que les gens veulent juste se faire plaisir", explique à l'AFP Santiago Basavilbaso, jeune cuisinier indépendant, pendant qu'il déniche de bons prix de gros au Marché central de Buenos Aires. Il dit avoir "changé (ses) goûts, (ses) achats, pris des marques moins chères, mais... sans cesser de (me) faire plaisir".

La frénésie, aussi, trahit un produit hors de prix désormais pour une partie de la classe moyenne: le rêve d'acheter sa maison, sa voiture. A fortiori dans un pays "dollarisé dans sa tête", ou faute de confiance en un peso qui se déprécie, le billet vert est le sésame obligé pour toute transaction importante.

"Une maison: hors de portée. Une voiture de qualité: hors de portée. Du coup, qu'est-ce que je fais si je ne pourrai jamais acheter une maison ou une auto ou voyager loin ? Je dépense...", diagnostique Salvador Di Stefano, économiste directeur du cabinet-conseil SDS.

- Une maison, sinon une pizza -

"A un autre niveau, poursuit-il, celui qui n'a même pas d'argent pour partir en vacances va à un concert.

Et celui qui ne peut même pas se payer un concert va s'offrir une pizza et une bière". Et les terrasses, trompeuses, se remplissent. Du moins dans la capitale.

Dans les centres commerciaux, les magasins, les panneaux aguicheurs jouent la séduction en différé: paiement en 3, 6 ou 12 mensualités, histoire de "liquéfier" le prix. Non seulement pour des achats "importants" type électroménager ou literie, mais aussi pour un vêtement, une paire de chaussures.

"On paie tout en +cuotas+ (mensualités). Sinon avec le salaire d'un seul mois c'est difficile d'acheter certains biens, et insupportable d'économiser plusieurs mois pour voir ce pouvoir d'achat partir en fumée avec l'inflation", décrypte Martin Kalos, économiste de la firme EPyCA et enseignant à l'Université de Buenos Aires.

Mais une majorité n'y arrive pas, même avec des "cuotas". Alors ils stockent.

Des produits de première nécessité, non périssables, qu'ils gardent chez eux, en "pariant" sur l'inflation à venir.

"Par exemple début juin j'achète avec ma carte de crédit dix bouteilles d'huile, que je paierai en juillet", mais au prix initial. Et ainsi pour les mois à venir, "j'économise en huile", résume M. Stefano.

Qui nuance toutefois l'ampleur du phénomène: dans un pays où le taux de pauvreté atteint 40%, beaucoup, par force, "n'achètent pas plus que ce qu'ils consomment".

- Réflexes anti-inflation hérités -

Un autre piège à déjouer est la boussole, cassée, des prix. Avec 8% d'inflation par mois en moyenne, et "une grande hétérogénéité de prix, c'est difficile de savoir si ce qu'on achète est cher ou bon marché, parce qu'on perd constamment la référence", souligne M. Kalos.

Alors le consommateur devient traqueur. Des promotions, des "pour 2 produits achetés, le deuxième à 30%", des écarts entre deux supermarchés, entre deux marques... Ou bien il ajuste -à la baisse- la qualité du produit. Ou le produit lui-même: moins de boeuf, plus de poulet.

Proconsumer, une association de défense de consommateurs, recommande activement d'entretenir cette "culture de consommateur: comparer, vérifier les prix avant d'acheter.

C'est très bien aussi d'acheter des aliments non périssables entre plusieurs foyers, et stocker pour se prémunir des hausses à venir", conseille son président Ricardo Nasio. "Et si tu as un billet de 100 dollars dans un tiroir, tu le gardes. Une semaine plus tard, tu as gagné 15%" de pouvoir d'achat en pesos".

Mais rien là de bien nouveau, pour les Argentins. "Les stratégies défensives des consommateurs d'aujourd'hui viennent de nos familles. Des comportements que nos pères, nos grands-pères, ont utilisé toute leur vie", analyse M. Kalos, en référence à l'hyperinflation des années 1980, ou la "Grande crise" de 2001. Depuis treize ans, le pays (re)vit avec une inflation à deux chiffres.

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