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Une équipe internationale de cryptologues a annoncé mercredi la découverte et le déchiffrement de lettres secrètes de Marie Stuart, reine d'Ecosse, une des figures les plus tragiques de l'Histoire d'Angleterre, décapitée sur ordre de sa cousine, Elisabeth Ire, en 1587.
La découverte de la cinquantaine de lettres, qui étaient classées de façon erronée à la Bibliothèque nationale de France (BnF), est saluée comme une avancée majeure --la plus importante depuis un siècle-- dans la connaissance de cette reine écossaise (1542-1587), qui fut aussi reine de France (elle a été l'épouse de François II et est devenue veuve 18 mois après le mariage).
Marie Stuart, de confession catholique, a écrit ces lettres en les chiffrant, entre 1578 et 1584, durant sa captivité en Angleterre. Elle y était détenue sur ordre d'Elisabeth Ière, protestante, car Marie était considérée par les catholiques comme l'héritière légitime au trône d'Angleterre.
Elle est décapitée en 1587, condamnée pour avoir projeté d'assassiner sa cousine: le dernier chapitre d'une existence tumultueuse et tragique, qui a inspiré des siècles plus tard bon nombre de films et de livres.
Les trois cryptologues auteurs de cette découverte sont membres du projet international DECRYPT, dont les équipes écument les archives à travers le monde à la recherche de documents historiques chiffrés.
Dans les archives numérisées de la BnF, ils sont tombés sur des documents chiffrés, classés comme étant originaires de la première moitié du XVIe siècle en Italie.
- "Ma liberté et "mon fils" -
"Si quelqu'un cherchait des documents liés à Marie Stuart dans la BnF, ce serait le dernier endroit où les trouver", relève auprès de l'AFP l'informaticien et cryptologue français George Lasry, principal auteur de l'étude parue dans la revue scientifique Cryptologia.
Déchiffrer le code a été "comme peler un oignon", décrit l'informaticien, qui a travaillé avec le professeur de musique allemand Norbert Biermann et le physicien japonais Satoshi Tomokiyo.
D'abord, les cryptologues ont compris que le texte n'était pas en italien mais en français. Son utilisation de la forme féminine indiquait qu'il s'agissait d'une femme. Des phrases comportant "ma liberté" et "mon fils" suggéraient une mère emprisonnée.
Puis est arrivé le mot clé: "Walsingham". Francis Walsingham était le principal secrétaire et maître-espion d'Elisabeth Ire.
Des historiens pensent qu'il a "piégé" Marie Stuart en 1586, en l'amenant à soutenir le complot de Babington pour assassiner Elisabeth Ire, explique George Lasry.
Walsingham avait un espion au sein de l'ambassade de France à Londres depuis 1583. La plupart des lettres de Marie Stuart étaient adressées à l'ambassadeur Michel de Castelnau Mauvissière, qui était un de ses partisans.
- "Fabuleux!" -
La reine Marie était "trop intelligente" pour mentionner un quelconque projet de complot dans sa correspondance, même chiffrée, selon George Lasry.
Dans ces lettres, elle plaide sa cause avec diplomatie, se livre à quelques ragots, se plaint de ses conditions de captivité et exprime sa détresse après l'enlèvement de son fils, Jacques VI d'Ecosse, né de son second mariage --il succèdera à Elisabeth Ire sur le trône d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier.
Une correspondance qui suscite l'empathie, selon M. Lasry. "Parce que c'est une tragédie, on sait qu'elle va être exécutée".
Les historiens ont loué le travail du trio. "Cette découverte est une sensation littéraire et historique", déclare John Guy, historien britannique dont la biographie de la reine a inspiré "Marie Stuart, reine d'Ecosse", film de 2018. "Fabuleux! C'est la découverte la plus importante sur Marie, reine d'Ecosse, depuis cent ans", écrit-il dans un communiqué.
Mêmes applaudissements de la part de Steven Reid, historien à l'Université de Glasgow, qui parle de la "plus grande découverte sur l'histoire de Marie dans l'ère moderne".
Ces lettres vont permettre d'affiner les connaissances sur la vie et la personnalité de la souveraine et aider aussi à produire des versions plus exactes de ses lettres chiffrées déjà connues.
Pour Nadine Akkerman, professeure de littérature à l'Université de Leiden (Pays-Bas), c'est comme avoir "découvert un trésor enfoui".
Et les chercheurs évoquent la possibilité de trouver d'autres lettres de Marie d'Ecosse dans le fonds d'archives de la BnF.