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Le sculpteur Auguste Rodin est à 61 ans au sommet de sa renommée lorsqu'il se rend en 1902 à Prague et en Moravie à l'invitation d'un groupe d'artistes tchèques : une exposition à Brno dévoile cet étrange voyage.
Des photographies d'époque et des archives de presse exposées jusqu'en septembre dans la deuxième ville tchèque permettent de redécouvrir ce séjour d'une semaine à Prague et dans l'est du pays, riche en folklore local.
En mal avec la majorité allemande de l'Autriche-Hongrie de l'époque, un groupe d'artistes tchèques avait décidé d'organiser à Prague la plus grande exposition de l'un des plus grands artistes vivants.
Faire venir cet artiste célèbre dans le monde entier est aussi pour ces jeunes patriotes une manière de révéler la culture locale et la scène artistique pragoise hors des frontières de l'Autriche-Hongrie.
"La France était toujours sous les feux de la rampe en tant que société la plus avancée de point de vue culturel et social", explique Hana Dvorakova, co-autrice de l'exposition de Brno.
La Bohême, la Moravie et la Slovaquie font partie de l'Autriche-Hongrie jusqu'en 1918, date à laquelle la Tchécoslovaquie devient un État indépendant. Le pays se divise en République tchèque et en Slovaquie en 1993.
Auguste Rodin (1840-1917), qui entretient à l'époque une liaison avec une jeune aristocrate polonaise, Sophie Postolska (1868-1942), l'une de ses élèves, arrive à Prague en train le 28 mai 1902.
Le lendemain, il est accueilli par une foule enthousiaste et des conseillers municipaux à l'ancien Hôtel de ville de Prague, il déjeune avec un magnat local, se rend dans un nouveau musée et fait une visite touristique de Prague.
- Foules -
"Il était incroyablement suivi par les journalistes, les paparazzi de l'époque", comme une star de cinéma pourrait l'être aujourd'hui, explique Mme Dvorakova.
"Rodin lui-même fut surpris, car les faits montrent qu'il était timide et que, soudainement, il fut traité comme un homme politique de premier plan", déclare-t-elle à l'AFP.
"Quand la foule devant son hôtel s'est mise à scander 'vive la France', 'vive Rodin', il s'est senti déstabilisé", a-t-elle dit.
Rodin se rend à l'Académie des Beaux-Arts et dans plusieurs ateliers privés, visite sa propre exposition, assiste à un banquet, va à l'opéra et enfin à une fête, après laquelle il doit annuler le programme du lendemain.
Après cinq jours à Prague, il se rend en Moravie où il est à nouveau accueilli par une foule nombreuse à la gare. Un orchestre d'usine locale joue la Marseillaise pour lui.
"La femme d'un député lui a tendu la main et il l'a serrée, ce qui fut une erreur car il aurait dû alors serrer la main à tout le groupe de 100 à 200 personnes", sourit Mme Dvorakova.
- Danse folklorique -
Rodin est ensuite emmené au fond d'une doline profonde de 138,5 mètres, où il pique-nique avec les peintres Alphons Mucha et Zdenka Braunerova, tous deux liés à Paris.
Il termine son voyage dans un village isolé en compagnie du peintre folklorique morave Joza Uprka, en se régalant du vin de sa cave. Il y danse avec Mme Braunerova et est photographié en train de danser seul sur un air folklorique, le visage joyeux.
"Prague s'est fait remarquer sur la carte culturelle mondiale, et c'était l'objectif" de l'invitation adressée à Rodin, indique Mme Dvorakova pour résumer la visite, très coûteuse en raison de l'ampleur de la logistique.
L'association Manes, qui a organisé le voyage, a eu besoin de dizaines d'années pour en payer la facture.