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A Canakkale, Kilicdaroglu promet "le retour du printemps" sous le déluge

Une mer de parapluie et de capuches à ses pieds, Kemal Kilicdaroglu, le candidat de l'opposition turque qui défiera Recep Tayyip Erdogan le 14 mai dans les urnes, promet en souriant "le retour du printemps".

Cette pluie drue qu'il trouve "jolie" s'abat pourtant sans discontinuer sur la foule venue écouter, mardi à Canakkale (nord-ouest), le politique discret de 74 ans dont les affiches de campagne annoncent sur fond azur: "Je suis Kemal, j'arrive!".

Le choix de Canakkale (nord-ouest) ne doit rien au hasard, pour Kemal Kilicdaroglu, président du Parti républicain du peuple (CHP) héritier de Mustafa Kemal Atatürk.

C'est ici, à l'entrée du détroit des Dardanelles, qu'en 1915 le futur fondateur de la Turquie moderne, alors jeune commandant, s'est illustré face aux forces alliées, intimant à ses troupes: "Je ne vous ordonne pas d'attaquer, je vous ordonne de mourir!"

Rien de tel sur la scène dressée en centre-ville, encadrée par le drapeau turc et des portraits géants de Mustafa Kemal et du candidat.

Ce dernier se présente flanqué des deux stars du CHP, les maires conquérants des deux principales villes du pays élus en 2019, Ekrem Imamoglu à Istanbul - ovationné - et Mansour Yavas à Ankara, la capitale.

- "Les avions de la présidence" -

"Notre marche vers le pouvoir commence aujourd'hui à Canakkale"! clame Yavas, lyrique. "Nous sortons des ténèbres et nous avançons vers la lumière!" - ce que le ciel noir dément encore.

Face au président Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, le candidat de l'opposition unie (six partis, de la droite nationaliste à la gauche) promet la justice, la démocratie et le retour d'une certaine sobriété : "Je vendrai les seize avions de la présidence et j'achèterai des bombardiers d'eau pour les pompiers!"

Décliné dans ses clips, "je te promets" est le slogan emblématique de sa campagne, lui qui "promet" d'être le président de 85 millions" (de Turcs).

Sous sa capuche blanche détrempée, Selma Ozcen, 63 ans, comptable retraitée vient se faire une idée: "Il m'est arrivé de voter pour le gouvernement (sortant). Mais on veut une organisation plus juste, un pouvoir plus juste, qui ne piétine pas les droits, qui soit équitable avec tous", justifie-t-elle.

"On ne veut plus du pouvoir d'un seul homme", tranche Rezzan Iscen, deux petits drapeaux turcs en main.

"Il faut changer l'ancien système et apporter la démocratie, la justice, le droit. Que l'économie se rétablisse. On veut une vie sans pauvreté, où les enfants ne vont pas au lit le ventre vide", martèle-t-elle cette ancienne fonctionnaire.

"La vie est devenue si chère, si dure, on veut une meilleure vie."

- Les oignons de l'inflation -

Certains dans la foule de plusieurs milliers brandissent des oignons: ces indispensables ingrédients de la cuisine populaire sont devenus le symbole d'une inflation débridée (50% officiellement plus du double selon les économistes indépendants).

"Je connais les problèmes de la Turquie. On les connaît tous et on va tous les régler", lance Kemal Kilicdaroglu. "On a le savoir, l'expérience et la force. Cette force c'est vous!"

A 35 jours du vote, tous les instituts de sondage lui donnent l'avantage sur M. Erdogan, sans lui garantir la victoire au premier tour, notamment après la réapparition surprise de l'ancien candidat CHP, Muharrem Ince, susceptible de lui prendre 5 à 8% des suffrages.

Le chef de l'Etat, rompu aux campagnes électorales mais qui doit assumer la grave crise économique et les critiques sur la lenteur des secours, après le séisme du 6 février (plus de 50.000 morts), multiplie les promesses de reconstruction et d'une "Turquie forte".

Mais au pied de l'estrade, à Canakkale, Arda Cakirer, un étudiant de 20 ans au fin collier de barbe et boucle d'oreille, se dit "très ému". Il votera pour la première fois en mai, comme six millions de jeunes Turcs: "Ces élections vont déterminer l'avenir de la Turquie", assure-t-il.

Lui qui n'a connu que le pouvoir de Tayyip Erdogan apprécie que Kilicdaroglu se soit engagé sur un mandat unique. "C'est très important. Car après avoir remis de l'ordre dans le système, un président plus jeune pourra prendra la relève".

Sema Sur, une quadragénaire qui porte le foulard, sourit: "Si on ne l'aimait pas, on ne serait pas venu. On est trempé! Mais on l'aime pour nos lendemains, pour que nos espoirs s'épanouissent".

Le meeting s'achève, la pluie cesse, les drapeaux rouges ressortent et avec eux, une pancarte brandie au-dessus des têtes assure au candidat: "Tu vas gagner!"

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