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A Saint-Brévin-les-Pins, les réfugiés déménagent, la station balnéaire s'embrase

Saint-Brévin-les-Pins, avec sa plage et ses palmiers, a tout d'un paradis pour Boubacar Keita. Mais le Malien n'a qu'une hâte: "partir" de cette station balnéaire de la côte atlantique où l'hostilité envers son centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) a rendu l'air irrespirable.

Son intégration ne pouvait pourtant pas mieux démarrer. Depuis qu'il a rejoint le centre en février 2021, il a obtenu le statut de réfugié, une carte de séjour de 10 ans et même un emploi de commis de cuisine.

Ces derniers temps, c'est l'atmosphère qui a changé dans la petite commune de Loire-Atlantique, l'une des premières à héberger un centre d'accueil pour migrants, en 2016, lors du démantèlement de la "jungle" de Calais.

La simple annonce de son déménagement, toujours à Saint-Brévin, a fait ressurgir de vieux démons locaux et s'enchaîner les manifestations - une nouvelle est prévue mercredi - opposant détracteurs et soutiens du projet.

"Je veux partir d'ici parce qu'on n'est pas bien vus. Ca me dérange de rester dans un endroit où on n'aime pas ma couleur de peau", confie à l'AFP Boubacar Keita, 29 ans, installé après le service dans son restaurant, baigné de soleil en ce premier jour de printemps.

Après avoir "survécu" en Libye, traversé la Méditerranée, le Malien compte désormais les jours avant de "fuir Saint-Brévin".

"Tout ce qu'il entend, les manifestations, le racisme, ça le mine", déplore son employeur qui requiert l'anonymat sur ce "sujet sensible".

Comme nombre de patrons locaux, le restaurateur voit dans le Cada et ses dizaines de locataires un vivier de main-d'oeuvre, surtout pour la période estivale, lorsque la station balnéaire passe de 14.000 à 40.000 âmes.

"On avait des difficultés à embaucher alors on est allé au centre. Et ça se passe très bien", reprend-il.

- Tirs de carabine -

Comme lui, Philippe Croze a été "surpris" par la récente poussée de fièvre.

Avec un air de déjà-vu pour le président du Collectif des Brévinois attentifs et solidaires, toujours "atterré" par les débuts du centre, visé en 2016 par des tirs de carabine.

Depuis, grâce à un "élan bénévole et populaire", les tensions s'étaient estompées et "tout se passait très bien jusqu'à l'annonce du transfert du Cada", prévu en décembre, explique le retraité de 73 ans.

"Je ne dis pas que c'est facile au quotidien. L'apprentissage du français est difficile, les emplois ne sont pas toujours ceux qu'ils espèrent, l'accès au logement est délicat, mais on y arrive et les gens s'intègrent", observe M. Croze.

En sept ans, le centre a vu défiler environ 400 personnes, sans "le moindre incident".

Un accueil "dans l'ADN" local, assure-t-il, dans une station qui héberge historiquement les travailleurs des chantiers navals de Saint-Nazaire, souvent originaires d'Europe de l'Est.

"On dit que Saint-Brévin, c'est une terre d'accueil. Mais depuis quand?", s'insurge Fabrice Merrachi, un représentant du collectif de riverains qui organise les manifestations hostiles au centre. La dernière, le 25 février, a rassemblé 400 personnes.

Le "patriote" de 59 ans, blouson en cuir, reconnaît avoir fait appel au parti Reconquête d'Eric Zemmour, faute d'avoir pu fédérer plus de trente riverains qui dénoncent notamment la "promiscuité" du nouveau centre avec une école maternelle, en bord de plage.

"Aux beaux jours, on ne pourra même plus laisser nos filles aller à la plage. Ils (les migrants) seront en groupe et on sait qu'ils ont des instincts. On ne veut pas de faits divers", assume M. Merrachi.

- Callac, Saint-Brévin, même "combat" -

"Ils surnomment même le Cada +centre de viol collectif+, alors qu'il n'y a jamais eu le moindre souci, rien, rien, rien!", grogne le maire divers-droite Yannick Morez, en laissant ses poignets retomber sur son bureau.

L'édile n'aurait pas prêté plus attention aux quelques protestataires locaux (une "dizaine" lors des manifestations) si les événements n'avaient pas "pris des proportions importantes" qui font régner une "ambiance lourde".

Son domicile a été visé mercredi 22 mars par un incendie, objet d'une enquête criminelle.

La veille, Yannick Morez expliquait également à l'AFP se retrouver "au milieu d'une bataille qui (le) dépasse", entre un centre voulu par l'Etat et une opposition "politique" pilotée "de l'extérieur", comprendre par Reconquête.

"Nous sommes en soutien des riverains dont la peur est légitime face à la démarche d'implantation subie de demandeurs d'asile dans les campagnes", estime pour sa part Laurent Chomard, responsable local de Reconquête, qui voit à Saint-Brévin un nouveau "combat" à mener contre le "grand remplacement", après Callac (Côtes-d'Armor), où la municipalité a abandonné en janvier son projet d'accueil de réfugiés.

Pour ne pas mettre "d'huile sur le feu", l'association Aurore, gestionnaire du Cada, a refusé de s'exprimer. Certains de ses locataires n'ont même pas eu vent des manifestations.

"Il y a des gentils et des méchants partout. Ici, j'ai surtout vu des gens très humains qui nous donnent des cours de français et qui s'occupent de nous", assure l'un d'eux, Hasibullah Latifi, un Afghan de 26 ans arrivé il y a deux mois.

Ancien pêcheur sur le Nil, le Soudanais Mujtaba Hassan a quitté Saint-Brévin juste avant ces polémiques pour s'installer à Saint-Nazaire, où il est devenu poseur de sols. Les quelques personnes qui "nous jetaient des poubelles en passant en voiture" mises de côté, ses quatre années au centre ont été "super".

Arrivé en France en 2018 après un parcours migratoire chaotique, le réfugié de 29 ans livre sa recette d'une intégration réussie dans la région: "S'installer ici, il faut que ce soit un choix, parce que la campagne, ce n'est pas pour tout le monde".

Son rêve? Acheter une maison, idéalement à Saint-Brévin. "Comme ça, si les copains du centre ont un problème, ma porte sera toujours ouverte."

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