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Abusée par son propre père durant 20 ans, Julie souhaite rouvrir son dossier : que dit la prescription à ce propos?

Julie a été victime de viols de son propre père quand elle était enfant, puis adolescente. Cette jeune femme, dont nous avons changé le prénom afin de lui garantir un anonymat, s'est sortie de cette spirale infernale, mais souhaite pouvoir rouvrir le dossier du procès, clôturé il y a maintenant 17 ans, en 2006. Son père, condamné à huit ans de prison à l'époque, avait purgé sa peine et est maintenant décédé. Cependant, son combat ne s'arrête pas là.

"Tout a commencé quand j'avais 4 ans, jusqu'à mes 24 ans, quand ma plainte a été entendue", explique-t-elle. "Il abusait mes sœurs également. Petite, on ne s'en rend pas compte, mais nous étions battues, il nous frappait si on ne faisait pas ce qu'il voulait, il nous menaçait de nous jeter à la rue".

J'ai su très vite que ma situation n'était pas normale

Un cas de figure typique, comme l'explique Lily Bruyère, coordinatrice pour SOS Inceste. "Les cas d'incestes sont différents des cas de violences sexuelles entre personnes qui ne se connaissent pas car il y a une notion d'emprise supplémentaire. Les enfants sont dépendants affectivement et économiquement de leur famille, ils sont dans un lien avec l'agresseur, ça permet de garder l'enfant sous une certaine emprise", explique-t-elle.

Durant 20 années, Julie a subi les sévices infligés par son père. Durant cette période, elle a averti la police plusieurs fois, sans succès. "J'ai su que ma situation n'était pas normale très vite. Je ne pouvais pas avoir de petit copain, mon père me menaçait, je devais dormir avec lui. J'ai fait une tentative de suicide à 15 ans, je ne voyais pas comment sortir de cet enfer. Quand je me présentais à la police avec des blessures, on me disait qu'ils ne savaient rien faire car c'était intrafamilial".

Un procès a finalement eu lieu

Finalement, à 24 ans, Julie se rend à nouveau à la police, qui débute une enquête. Le père de Julie sera inculpé et prendra huit ans de prison pour ces années de méfaits. "On trouvait que c'était une petite peine", explique Julie. "Pourtant, certaines personnes de ma famille me tournaient le dos, elles estimaient que j'avais envoyé mon père en prison".

Après le procès, on ne m'a prévenu de rien

Pire, Julie vit toujours avec la peur au ventre. "Parfois, je sens comme une présence quand je prends ma douche, comme s'il était là, quelque part. J'ai eu longtemps très peur de réitérer ce que j'avais subi sur mes propres enfants. On entend souvent que les enfants victimes de violences reproduisent le schéma sur leurs enfants. J'ai dû être suivie longtemps pour me convaincre que je n'étais pas comme lui".

A l'époque, le père de Julie s'en est également pris à ses deux sœurs, l'aînée et la cadette. Au procès, seule sa petite sœur et elle avaient pu témoigner. La plus âgée n'avait pas pu, car les faits remontaient à plus de 10 ans, soit la durée de la prescription à l'époque.

Si l'homme a bien purgé ses années de prison, la suite ne s'est pas passée comme prévu pour Julie. "L'avocate a bâclé la fin du procès. Nous n'avons été informées de rien concernant les dédommagements et le suivi psychologique qui nous avait été promis. Quand j'ai été hospitalisée, c'est une psychiatre qui m'a demandé si j'avais eu un suivi. Elle m'a alors dit que j'avais droit au service d'aide aux victimes, personne ne m'avait rien dit".

Julie se demande alors : pourrait-elle rouvrir le dossier pour obtenir les dédommagements qu'elle pouvait obtenir mais aussi pour que sa sœur puisse témoigner ? "On a vu qu'on avait 30 ans pour faire valoir nos droits", note-t-elle.

Depuis 2019, l'imprescriptibilité des faits sur mineurs

Récemment, la loi a changé concernant la prescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs, mais également sur l'inceste. En effet, depuis 2019, une loi a été adoptée par la chambre. Cette loi rend désormais imprescriptible les délits sexuels commis sur des mineurs. Dans un autre temps, une loi a permis de placer le mot "inceste" dans le code pénal.

"En ce qui concerne l'imprescriptibilité des délits sexuels sur mineurs, avant cette loi, il y avait une prescription de 10 ans après la majorité de la victime. Ici, comme l'affaire date de 2006, il sera impossible de rouvrir le dossier, car la loi n'est pas rétroactive", note Benoit Lemal, avocat pénaliste. 

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"Pour l'inceste, autrefois, ces faits étaient seulement considérés comme une circonstance aggravante lors de violences sexuelles", note-t-il. "Désormais, avec la particularité que la victime doit être mineure, le code pénal le punit également. S'il y a atteinte à l'intégrité physique, cela peut aller de 15 à 20 ans. Si cela se limite à du voyeurisme, c'est plutôt autour de 10-15 ans".

Un problème d'exécution du jugement

Concernant les manquements dont a été victime Julie à la fin du procès, Benoit Lemal s'explique : "Concernant le dédommagement financier : si l'auteur des faits est solvable, s'il a un patrimoine, les victimes peuvent exécuter le jugement. S'il est insolvable, alors oui, elles auraient dû être dirigées vers la "commission d'aide aux victimes d'actes intentionnels de faits de violence".

Ici, le père était bien insolvable. Seulement, le timing est serré. La loi ne prévoit que trois années pour introduire une demande et potentiellement allouer un montant. Or ici, le délai est largement dépassé. "Ici, la personne est décédée. Si les victimes ont renoncé à sa succession, car elle ne présentait aucun actif, alors elles ne pourront plus obtenir de paiements".

Inceste et violences : la parole se libère

Grâce à ces deux nouvelles lois, très récentes, de nouvelles paroles peuvent se libérer. L'association SOS Inceste s'en réjouit d'ailleurs. 

"Il y a eu une grande prise de consciences, depuis l'affaire Dutroux, je dirai, que les violences sexuelles sur enfant existaient bien", note Lily Bruyère, coordinatrice pour SOS Inceste. "C'est d'ailleurs plus fréquent que cela arrive par des proches, que par des personnes extérieures".

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Pour elle, les mouvements sur les réseaux sociaux ont eu leur importance. "Avec les #metoo, par exemple, l'écoute a été de meilleure qualité. La libération de la parole a été très importante ces dernières années, ce qui permet aux gens de mieux connaitre ces problématiques".

En Belgique, nous ne disposons pas de chiffres officiels concernant les violences sexuelles. Récemment, l'Organisation Mondiale de la Santé a publié un rapport : 20% des femmes et 5 à 10% des hommes dans le monde disent avoir été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. 70 à 80% d'entre eux ont été victimes de proches.
 

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