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Genet et Steve sont en Belgique depuis plusieurs années. Arrivés sur le sol belge et rapidement intégrés, ils ont construit leur vie ici. Mais il leur a récemment été demandé de quitter le territoire et de rentrer dans leur pays d'origine. Les deux réfugiés témoignent d'un phénomène qui semble s'intensifier.
Voilà six ans maintenant que Steve vit à Liège. Arrivé depuis le Cameroun, où il a fui la politique en place, il a trouvé en la Belgique une terre d'accueil où il se sent bien. D'abord étudiant en master à l'Université de Liège, il est depuis 2020 en CDI chez Colruyt. Un parcours sans ombre pour le jeune homme qui compte "de nombreuses attaches professionnelles, sportives et culturelles" ainsi qu'une compagne dans son pays de coeur. "Ma vie est ici", assure-t-il.
L'arrestation
Mais le 17 novembre, les choses ont basculé pour Steve. Alors qu'il était chez lui, la police a débarqué. "J'ai été arrêté chez moi et enfermé pendant la nuit dans les locaux de la police puis transféré au centre fermé de Bruges", raconte-il à l'équipe de RTL info. S'en sont suivi 15 jours de détention avant d'être rapproché, à sa demande, de Liège près de "sa famille, ses amis et ses collègues".
La raison de cette arrestation? Steve est en situation irrégulière. En 2019, il a introduit une demande d'asile dont il a attendu la réponse pendant... trois ans et demi. "J'ai eu la réponse négative en mai 2023. À la suite de ça, j'ai reçu un ordre de quitter le territoire", explique-t-il. "Mon avocat a déposé un recours pour l'annuler. J'ai également demandé une régularisation de ma situation avec mon contrat de travail."
Le temps a donc rattrapé Steve et ce fameux 17 novembre, ce que l'on appelle aussi l'"OQT" (Ordre de quitter le territoire) a été mis en application. Un premier et un deuxième procès en appel auront été nécessaires pour que notre interlocuteur soit enfin remis en liberté. Une première victoire non sans séquelles. "Il faut toujours que je regarde à gauche à droite si je ne vais pas être interpellé..."
L'incompréhension
Aujourd'hui, le recours pour l'annulation de l'OQT et le demande de régularisation sont toujours en cours. Devoir prouver une fois de plus qu'il est intégré et attaché à la Belgique, Steve trouve cela "malheureux". "Je paie mes cotisations sociales, mes impôts, mes loyers, je n'ai pas de souci avec la justice ou la police. On se demande ce qu'il faut réellement faire pour être reconnu comme citoyen belge...", se désole-t-il.
Mais Steve ne se sent pas seul, surtout grâce à une pétition lancée par ses collègues sur internet, qui a à ce jour recueilli plus de 4.000 signatures. De quoi mettre du baume au coeur de ce Camerounais d'origine, tout comme dans celui de Genet, venue d'Erythrée, qui subit le même sort, ainsi que toute sa famille.
Employée dans une garderie, cela fait neuf ans que Genet réside à Hamois. "Mes enfants sont nés et scolarisés ici", souligne-t-elle. "Ils ont grandi ici, ils ne connaissent pas le pays d'origine de leur maman..." Pourtant, le 11 décembre, elle aussi a reçu un ordre de quitter le territoire. Elle continue de travailler dans sa structure, soutenue elle aussi par une pétition locale. "On attend de savoir si on peut rester ou non..."
Genet et Steve ne sont pas les seuls dans ce cas-là, à être sommés de partir alors qu'ils sont parfaitement intégrés.
Ces ordres de quitter le territoire sont-ils plus nombreuses qu'avant?
Pour Matthieu Lys, avocat spécialisé en droit des étrangers, il n'est pas question de plus d'ordres mais peut-être d'un meilleur suivi de ces "décisions administrations délivrées de manière automatique aux demandeurs d'asile déboutés et aux personnes en situation irrégulière qui, à un moment donné, apparaissent".
Même son de cloche chez Caritas, pour qui "il y a toujours eu beaucoup d'OQT" en Belgique. Mais, selon Anne Dussart, la responsable du département asile et immigration de Caritas, ces dernières seraient simplement mieux appliquées et suivies. Elle explique: "On a l'impression qu'aujourd'hui, l'Office des étrangers suit mieux les OQT", constate Anne Dussart. "Si la Belgique décide d'octroyer une OQT, c'est que le dossier a été analysé et que la personne doit quitter le territoire. Mais juste donner ce document ne suffit pas, il faut l'accompagner: c'est la responsabilité de l'Etat, de l'Office des étrangers, des villes et des communes qui donnent et suivent ces documents."
Obligations de quitter le territoire, régularisations; kézako?
- Il y a deux catégories de personnes qui peuvent reçevoir un OQT: celles qui ont fait une demande d'asile qui, quand elle est déboutée, ne peuvent rester en Belgique; on leur signifie alors un ordre de quitter le territoire.
- La deuxième catégorie est celle des migrants qui arrivent en Belgique pour y travailler, y étudier, avec un visa légal. Il arrive un moment où ce visa expire et ces personnes qui restent vont se retrouver en situation irrégulière. Si ces personnes se font contrôler par la police, ils devront quitter le pays.
- Les personnes visées par un OQT ont 30 jours pour s'en aller, et les recours peuvent durer "des mois voire des années", selon l'avocat Matthieu Lys.
- Si une personne est en situation irrégulière, elle formule une demande de régularisation pour pouvoir rester. Ces demandes prennent beaucoup de temps; elles sont déposées à l'Office des étrangers. C'est le secrétaire d'Etat qui décide quelles sont les personnes qui peuvent rester.
- Les recours ne sont pas suspensifs, ce qui signifie qu'ils "ne donnent pas le droit aux personnes de rester sur le territoire pendant la durée du traitement du dossier". "C'est un problème car il est impossible de demander à ces personnes de rentrer dans leur pays en attendant la récision du juge", déplore l'avocat spécialisé en droit des étrangers.
- Caritas explique que les personnes visées par ces OQT ont deux options: "rester en Belgique en attendant l'éventuelle décision de régularisation mais dans une situation très précaire ou de accepter de retour accompagné dans le pays d'origine".
- Certains Ordre de quitter le territoire ne sont pas en phase avec la réalité géopolitique. Les demandeurs d'asile afghans déboutés, par exemple, ne peuvent rentrer dans leur pays puisqu'il n'existe pas d'accord avec le gouvernement taliban.