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Le casse-tête de la migraine au travail

"Elle a encore fait le coup de la migraine": cette réflexion, Sonia, migraineuse depuis vingt ans, l'a entendue trop de fois au travail pour les compter, victime d'un mal qui empoisonne la vie professionnelle de nombreux salariés.

"Nos collègues nous disent que ce n'est pas une maladie, ils ne nous prennent pas au sérieux", se désole cette secrétaire, qui travaille pourtant dans un centre hospitalier.

Or il s'agit bien d'une maladie avec ses "mécanismes spécifiques", explique à l'AFP le Dr Michel Lantéri-Minet, neurologue au CHU de Nice.

La migraine touche "12% à 20% des personnes à l'âge adulte" et se manifeste par "une inflammation et une dilatation des vaisseaux cérébraux", détaille-t-il. Les crises, qui peuvent durer de "4 heures à 72 heures", sont particulièrement invalidantes. "L'intensité de la douleur peut empêcher toute activité, notamment professionnelle".

Les personnes atteintes de migraine sévère s'absentent en moyenne du travail plus d'un mois par an (33 jours) en raison de crises, selon une étude menée en juillet 2017 par Novartis et Kantar Health portant sur 305 patients sujets à huit crises ou plus par mois.

"Les malades ont peur de la stigmatisation, peur de perdre leur emploi, peur des réflexions", affirme Kalina Tyminski, membre du conseil d'administration de l'Alliance européenne contre la migraine et les maux de tête. D'où son projet de créer une association en France pour informer le grand public sur cette maladie souvent prise à la légère.

- Mal "invisible" -

"Depuis le XIXe siècle, la migraine est conçue comme un prétexte", explique Esther Lardreau, agrégée de philosophie qui a dédié à ce sujet une thèse et un livre ("La migraine, biographie d'une maladie"). Comme elle est "invisible" et qu'elle "ne met pas la vie en danger", la migraine ne bénéficie pas d'une "reconnaissance sociale", estime-t-elle.

A cela s'ajoute une prédominance de la migraine de "trois femmes pour un homme", selon une étude de 2012 menée notamment par le Dr Lantéri-Minet. Alors "culturellement", elle est "rattachée à la féminité", à un "mal un peu imaginaire", commente le neurologue.

Aussi il est souvent "compliqué" pour les malades d'obtenir des arrêts de travail, relève la Pr Anne Ducros, neurologue au CHU de Montpellier et présidente de la Société française d'étude des migraines et céphalées.

"Lors d'une crise, les migraineux souffrent de douleurs intenses, de nausées et de vomissements", décrit-elle. "Il leur est quasi impossible de se déplacer chez le médecin puis de patienter dans la salle d'attente". Sans compter que ceux qui souffrent de "migraine à haute fréquence" auraient à répéter ces consultations "plusieurs fois par mois", souligne-t-elle.

"Les arrêts maladie, il faut oublier", confirme Fabienne, cadre dans un cabinet de conseil et migraineuse depuis 17 ans. "Mes congés y passent, mes RTT aussi".

Sonia raconte aussi "taper dans (ses) RTT": "J'en garde un stock spécialement pour mes crises, ça m'évite de perdre de l'argent avec les jours de carence".

Pourtant les conditions de travail peuvent jouer un rôle dans la survenue des crises. Le Dr Lantéri-Minet cite trois facteurs déclenchants: le "stress généré par un monde du travail de plus en plus dur", les "changements d'horaire" et les "facteurs sensoriels".

"Les migraineux ne peuvent pas travailler en 3/8 car les changements de rythme biologique aggravent leur crise", confirme la Pr Ducros. "Il m'arrive de demander à faire passer des patients en horaire fixe".

Tout dépend alors du "bon vouloir" des entreprises, reconnaît-elle, en citant les environnements de travail à proscrire: "espaces confinés", "fenêtres qui ne s'ouvrent pas", "écrans trop lumineux", "néons agressifs" et "climatisations non réglables". Une malade mentionne aussi l'odeur de tabac, une autre les effluves de peinture fraîche.

Des cadres de travail qui "nuisent à tout le monde", observe la Pr Ducros, mais auxquels les migraineux sont encore "plus sensibles que les autres".

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