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C'est en tournant le dos aux conventions que l'Américain Dick Fosbury, décédé lundi à 76 ans, est entré dans l'histoire de l'athlétisme, avec son "flop", technique révolutionnaire de saut en hauteur qui lui a rapporté l'or olympique en 1968, avant de faire école dans la discipline.
"Le gamin va se casser le cou". Voilà ce que disaient, cinq ans avant sa consécration de Mexico, les entraîneurs, perplexes sinon réfractaires, en voyant ce lycéen de 16 ans s'évertuer à franchir les barres, non pas selon la technique du rouleau ventral ou du ciseau, mais à sa façon bien à lui, en dorsal.
Jusque-là, ce fils d'immigrés anglais, né à Portland le 6 mars 1947, est un élève de Medford, Oregon, manifestement plus doué pour les sciences que pour ce sport qu'il pratique depuis six ans, après avoir délaissé le baseball et le basket. Au point de se décrire lui-même, dans son autobiographie "Wizard of Foz" ("le Magicien de Foz") comme "l'un des pires sauteurs en hauteur de l'État".
Sa persévérance, il la puise d'abord dans l'amusement que constituent ces sauts à l'envers effectués dans son coin. Ce sont surtout de rares moments d'évasion pour l'adolescent qui a perdu deux ans plus tôt son petit frère fauché par un camion, alors qu'ils se promenaient à vélo. Un drame qui entraîna le divorce de ses parents quelques mois plus tard.
- "Poétique, allitératif, conflictuel" -
Ainsi Fosbury tourne-t-il le dos à la barre comme on tourne le dos au chagrin et à la douleur. Et tant pis si la chute fait parfois mal sur le sable, la sciure ou les copeaux de bois au sol, à une époque où on n'use pas encore de mousse en caoutchouc pour réceptionner les corps.
Lassé de plafonner à 1,62 m avec les techniques de saut traditionnelles, le jeune homme finit par tenter son rouleau dorsal en 1963, au meeting de Grant's Pass (Oregon) où il franchit 1,70 m, 1,76 m et 1,82 m en se fiant à son instinct.
"Quand la barre a atteint une hauteur que je n'avais jamais atteinte, j'ai su que je devais faire quelque chose de différent. J'ai commencé à changer la position de mon corps: au fur et à mesure que la barre montait, je passais d'une position assise à une autre plus allongée sur le dos. J'ai amélioré mon record et terminé quatrième de la compétition. Ce fut le déclic", expliquait-il en 2018.
S'assurant d'abord que sa technique n'enfreint aucune règle, il la parfait et commence à se faire un nom le jour où le Medford Mail-Tribune publie en 1964 une photo sous-titrée "Fosbury Flops Over Bar" ("Fosbury à la renverse au-dessus de la barre").
Le "Fosbury flop" est né. "C'est poétique. C'est allitératif. C'est conflictuel", résume alors, avec un brin d'autodérision, celui que des journalistes qualifient de "sauteur en hauteur le plus fainéant du monde".
- Record olympique -
Quatre ans plus tard, après avoir échappé de peu à la guerre du Vietnam, réformé pour malformation de la colonne vertébrale, il prend part à la finale du concours de saut en hauteur des Jeux de Mexico, le 20 octobre. Quasi-inconnu et donc tout sauf favori, il décroche pourtant la médaille d'or, record olympique en prime (2,24 m).
"Une fois que j'étais en l'air, j'ai pu sentir l'espace entre mon corps et la barre. Je savais que j'avais réussi à passer la plus haute barre de ma vie. Tout le stade est entré en éruption, ce fut un grand moment. Je ne l'oublierai jamais", témoigne alors celui qui devient soudain une célébrité et vient, sans vraiment s'en rendre compte, de mettre son sport sens dessus dessous.
En 1968, la "révolution" est partout, dans les guitares des Beatles, sous les pavés de France et sur la hauteur de l'athlétisme. Le "Fosbury flop" fait vite des émules: aux JO-1972, qui couronnent pour la dernière fois un enjambeur, le Soviétique Juri Tarmak, 28 des 40 participants en ont fait leur technique.
"J'ai adapté un style désuet et l'ai modernisé pour le rendre efficace. Je ne savais pas que quelqu'un d'autre dans le monde pourrait l'utiliser et je n'aurais jamais imaginé que cela révolutionnerait la discipline", confiait celui qui échoua à se qualifier pour les Jeux de Munich, après avoir dû mettre entre parenthèses sa carrière sportive pour ses études de génie civil.