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Il est loin le temps du Bon Marché, ce grand magasin imaginé par l’entrepreneur français François Vaxelaire en 1860, qui connaîtra par la suite des succursales en Belgique (Liège, Anvers, Bruges) et en France.
Il est loin le temps du premier Super GB, ouvert en 1958 par Maurice Cauwe à la faveur d’une société de consommation d’après-guerre qui valorise l’émergence des supermarchés en libre-service.
Innovations et diversifications pour voir toujours plus grand
La célèbre boule rouge a fait son apparition lors de cette période faste, durant laquelle l’enseigne imprime sa marque disruptive. Une agence de tourisme à l’intérieur d’un GB ? Ce sera fait à Anvers dès 1960. Un restaurant à côté des rayons ? Bienvenue dans les Restos GB, ancêtres du Lunch Garden. Et pour le bricolage ? Voici les Brico GB, qui perdront leurs deux dernières lettres à la fin du siècle. Pour l’automobile ? Le groupe lance Auto 5. On découvrira même les burgers à la belge avec la franchise Quick, d’abord GB Quick, sur des parkings de Schoten (Anvers) et de Waterloo.
La diversification permet l’expansion. Et l’association avec L’innovation, puis la fusion entre GB et le groupe BM (Bon Marché), dans les années 70 permettra à l’entreprise GB-Inno-BM, futur groupe GIB, de se faire une place de choix à la tête des grands distributeurs belges.
Les projets ne manqueront pas dans les années suivantes, avec l’arrivée des magasins de lunettes Vision Center (devenus Pearle), les librairies Club, les enseignes d’article de sport Sportland…
L’internationalisation guettera dans les deux sens : d’abord avec l’arrivée en Belgique de Pizza Hut, de la Fnac et même d’Ikea, grâce à des partenariats entre les maisons mères et GIB, et dans l’autre direction avec les premières enseignes Quick en France, les magasins de bricolage Obi toujours en France ou encore Home Base, en Grande-Bretagne.
L’arrivée du hard discount et de Colruyt : le début de la fin
L’appétit vorace du géant belge s’éteindra dans les années 90. Des choix stratégiques difficiles, notamment un positionnement plus haut de gamme face à la concurrence de plus en plus féroce des hard discounters et de Colruyt, font chuter la part de marché et poussent la direction à une première restructuration. En 1993, un quart des travailleurs, soit 4.600 personnes, sont licenciés. Ce plan social ne suffit toutefois pas à ramener l’optimisme d’antan.
Le concept des grands magasins et des hypermarchés commence à perdre de sa splendeur, au grand dam de GIB, qui cède en 1998 aux sirènes françaises, laissant Promodès-Carrefour, rapidement devenu n°2 mondial de la distribution, entrer dans son capital. L’amorce d’un rachat acté deux ans plus tard, le 27 juillet 2000 : pour 27 milliards de francs belges (environ 670 millions d’euros à l’époque), le groupe de distribution passe sous le drapeau de Carrefour. L’enseigne française efface officiellement les Super GB et Maxi GB, alors que la direction affirme que ce bouleversement n’aura « aucune conséquence sociale ».
GIB, pour sa part, va poursuivre la revente de ses bijoux de famille : Auto 5, Brico, Quick… sont cédés, et même le patrimoine immobilier est cédé à Redevco, qui détient encore aujourd’hui moins d’une cinquantaine de sites de Carrefour Belgique. La liquidation de GIB est officialisée en 2002, actant la fin du groupe belge, plus d’un siècle après les débuts de ses ancêtres.
Carrefour : des chiffres dans le rouge et des licenciements
Alors que la boule rouge disparaît progressivement, jusqu’à être totalement invisibilisée en 2009 par la mise en place des Carrefour Market, les promesses d’un statu quo social se perdent. Car sur le plan financier, Carrefour subit la concurrence et enchaîne les années déficitaires, perdant 1 à 1,5 % de part de marché chaque année depuis la reprise des GB.
Si le groupe belge pouvait compenser ses pertes par la croissance de ses autres fleurons tels Brico ou Auto 5, Carrefour se rend bien compte que le segment hypers et supermarchés est en chute libre. Seuls les magasins de proximité offrent un peu de satisfaction à la direction. Mais le couperet tombe en 2007 avec le licenciement annoncé de 900 emplois et la fermeture de 16 magasins, finalement repris sous franchise. Quatorze hypermarchés vont également fermer en 2010, avec la suppression de 1.672 postes à la clé, tandis que 16 magasins passeront au groupe Mestdagh. Rebelote en 2018 : un plan de transformation mène à 1.233 pertes d’emploi, dont plus de 1.000 dans les hypermarchés.
Myriam Delmée, présidente du syndicat Setca, voit dans cette série de restructurations un phénomène global, loin d’être unique au dossier Carrefour. « C’est une évolution que l’on voit partout dans le secteur de la grande distribution. Seul Colruyt y échappe pour l’instant », indique-t-elle à Belga.
Selon la déléguée socialiste, l’arrivée de Carrefour a bousculé les discussions entre les syndicats et la direction. « Les règles sont différentes, même si la direction est en partie belge. Les plans sont réalisés depuis Paris, c’est ensuite à la section belge du groupe de s’exécuter. Cela fait d’ailleurs longtemps que le groupe est dirigé par des financiers, et non plus des entrepreneurs venus du commerce », explique Myriam Delmée.
« Le modèle de la grande distribution nécessite beaucoup de personnel, ce qui devrait favoriser la concertation. Mais on a l’impression de discuter dans le vide avec cette direction. Alors que le personnel qui a connu GB est justement connu pour sa loyauté et sa volonté d’aider son entreprise. »
Les hypermarchés source d’espoirs
Aujourd’hui dirigée par le Belge Geoffroy Gersdorff, ancien manager chez GB, la division belge de Carrefour, qui se concentre quasi exclusivement sur la grande distribution, tente de reprendre des couleurs, grâce à une stratégie visant la mise en avant de ses marques propres, la revalorisation des hypermarchés et la croissance du commerce via Internet.
Malgré le changement de comportement des clients, qui ont désormais le choix d’une offre foisonnante entre l’essor du commerce en ligne, la venue de nouveaux spécialistes du hard discount en Belgique et la force de frappe des autres grands groupes (Ahold Delhaize, Colruyt…), Carrefour veut croire en ses plus grandes surfaces : « L’hypermarché a très clairement trouvé une place en Belgique alors que c’est un format totalement atypique dans le pays, ce qui est pour nous prometteur », a indiqué Geoffrey Gersdorff à Trends/Tendances en 2023.
Pas encore de franchisés
Mais la concurrence reste forte, et les discussions vont bon train sur une nouvelle évolution du groupe. Le patron de Carrefour Belgique a indiqué qu’il ne souhaitait pas directement placer ses magasins sous franchise, comme Delhaize, malgré une commission paritaire jugée « problématique » pour les finances de l’entreprise, mais il a clairement pointé la possibilité d’une ouverture les dimanches pour faire face aux magasins concurrents.
Autant de changements qui inquiètent particulièrement Myriam Delmée : « On a l’impression que Carrefour met en place les mêmes recettes, sans implanter de modèle durable. Et que le groupe veut suivre Delhaize, sans forcément regarder si ce sera rentable. On n’a plus de commerçants autour de la table, mais des personnes qui regardent aux chiffres, sans autre analyse. »
Une seule constante dans l’univers versatile de la grande distribution : les évolutions sont aussi rapides qu’une boule rouge détachée des magasins aux deux lettres qui dominaient le paysage belge voici cinquante ans.

















