Accueil Actu Belgique Faits divers

"Elle s’est retournée et m’a tendu son enfant": voix tremblantes, larmes aux yeux, pompiers et policiers témoignent au procès des attentats de Bruxelles

De nouveaux témoins ont été entendus ce vendredi après-midi au procès des attentats de Bruxelles. Notre journaliste sur place, Arnaud Gabriel, retranscrit pour nous ces témoignages qu'il qualifie de "glaçants" (voir ci-dessous). "C'est dur", confie notre reporter.

Tous les accusés, à l'exception d'Osama Krayem, étaient présents. Alors que certains d'entre eux, notamment Salah Abdeslam, ont échangé des sourires à leur arrivée dans le box, ils sont restés silencieux et stoïques lorsque pompiers et policiers ont témoigné. Beaucoup de larmes ont coulé dans l'assistance, y compris chez les jurés, et bien sûr parmi les proches des victimes.

L'audience a ensuite été suspendue. Le procès se poursuivra lundi à 9H.

Un pompier a d'abord été entendu. Voici un résumé de son récit des faits:

Quand nous sommes descendus, on nous a demandé de prendre du matériel de désincarcération. Nous sommes descendus... (moment de silence) c’était très dur. On ne se rendait pas compte de ce qu’on allait voir. Les odeurs étaient fortes. On voyait déjà mieux, la fumée s’en allait. On avait pour mission de trouver d’autres victimes. La première réaction, sur le quai, c’était de vouloir faire demi tour. Mais on a continué! On est obligé d’avancer et de faire notre travail.

J’ai vu une tête d’une personne. C’est la première chose que j’ai vue. Je me rappelle du tronc d’une personne. On a marché sur le quai. Sur des gravats, il y avait du sang. Nous avons continué à avancer pour vérifier s’il y avait d’autres victimes encore à aider. Sur le quai, on a entendu dans la radio la corne de brume et le flash qui est le message d’évacuation. Il y a peut-être un autre danger potentiel. J’ai pensé à me proches en avançant. J’avais peur. J’avais ce sentiment d’incompréhension. D’être dans un cauchemar.

On a par la suite trouvé une victime et des collègues l’ont aidé. On a pu l’évacuer grâce à cela. C’était, je pense, une des dernières victimes à sauver. Nous sommes remontés. A une distance de sécurité. Je suis allé au poste médical avancé dans la rue pour amener les victimes. Nous avons ensuite été de la station Arts loi vers Maelbeek dans le tunnel du métro pour trouver des victimes.

On est remonté sur la voie publique et on a été remplacé par une autre équipe. Nous sommes rentrés à la caserne pour essayer de digérer tout ce qu’on a vu pendant cette matinée. Nous étions sur place très rapidement. Nous sommes restés plus ou moins 3 heures.

Personne n’était prêt à vivre cela. Je pense qu’on a vraiment fait ce qu’il fallait. Personnellement, je ne suis plus du tout dans l’opérationnel aujourd’hui. J’ai décidé de prendre un autre tournant dans ma carrière, mais nous avons fait ce que nous devions faire ce jour là.


La salle d'audience 

Le supérieur du pompier entendu est ensuite intervenu:

(Très ému, la voix tremblante) Malgré l’alerte, on a continué à chercher pour voir qu’il ne restait pas de victime ou des enfants car on sait qu’il y en avait. Ça fait 24 ans que je suis pompier, c’est la première fois que je vois ça…

Un policier, responsable plan catastrophe pour le métro de bruxelles, était l'un des premiers à être sur place:

(Beaucoup d'émotion et de larmes durant tout le témoignage)

Je venais de déposer mon fils à l’école. Mon patron m’a téléphoné pour prendre mon binôme et me rendre à Zaventem. On a fait route. Arrivé à l’avenue du Trône, on a entendu "flash flash explosion Maelbeek. On était a 200m. (Voix tremblante, larmes aux yeux). On a stationné le véhicule. J’ai regardé mon binôme. On avait pour habitude de ne pas descendre à deux. On ne s’est rien dit mais on s’est dit adieu.

Je suis descendu dans la station. Je ne voyais pas mes mains. La fumée était très présente. Je criais "police" et je me suis dit d'arrêter de crier, j’avais peur. Il n’y avait plus de bruit. Je me dirigeais avec ma main droite sur le mur pour me retrouver.

Au pied du quai, il y avait une femme. (Silence, pleurs). Elle avait une fracture du crâne. Elle était consciente, face contre le sol, et elle essayait de ramper. Elle gémissait. Je n’ai rien pu faire.

Je me suis retourné et j’ai vu la rame de métro. La première voiture dans le tunnel. La deuxième n’avait plus de toit. Le toit était sur la troisième voiture. Je ne savais plus quoi faire. Je sentais mes mains trembler. J’ai fermé les yeux, j’ai repris ma respiration et j’ai entendu la voix de mon patron dans la tête "faites attention, sécurisez l’endroit et donnez des indications". J’ai été au bout du quai et j’ai demandé si le courant était bien coupé sur les voies. C’était fait.

J’ai vu un homme tituber. Il tenait une valise. Il m’a dit "je suis le chauffeur de la rame". Il a dit "c’est le carnage". J’ai dit "merci tu peux sortir". Il a dit en permanence "la voiture 2, la voiture 2, la voiture 2".

Il y avait des corps, des têtes. Une voix m’a appelé. Une jeune femme. Dans le métro face à l’explosion. Son corps lacéré. Elle me demandait de l’aide. Elle s’est retournée et elle m’a tendu son enfant… j’ai fait marche arrière. J’ai appelé les collègues pompiers. Ils commençaient à sortir les morceaux de toit, de porte, pour atteindre l’enfant. Je me suis reculé et il y avait à mes pieds un corps carbonisé d’une cinquantaine d’années. Une lame de métal traversait son corps. Les yeux étaient ouverts et elle s’est adressée à moi. "Excusez moi monsieur. Est-ce que vous pourriez m’aider?". Je lui ai dit "on évacue des enfants et je reviens vers vous, promis". Elle m’a répondu "merci monsieur et excusez-moi de vous avoir dérangé". Je saisis qu’elle n’en aurait pas pour longtemps. Je lui ai menti.

Je suis toujours policier. Je suis fou mais j’aime mon métier. Je suis motard à la police maintenant. Le métro, ce n’est plus pour moi. C’est la troisième grande catastrophe que je vis mais c’est de loin la pire. Je suis suivi, mais tout le suivi du monde n’enlève pas les odeurs. Alors vous essayez d’oublier et de vous reconstruire ailleurs… Rien ne nous prépare à ça. Merci de m’avoir écouté.


Le box des accusés, Mohamed Abrini, Salah Abdeslam et d'autres accusés échangent des sourires à leur arrivée


Mohamed Abrini, dit "l'homme au chapeau"


Salah Abdeslam 

Le compte-rendu de la matinée

Ce vendredi matin, tous les accusés détenus étaient présents dans le box. Osama Krayem n'a pas voulu rester. Il a quitté la salle. Salah Abdeslam a ensuite demandé la parole pour revenir sur son transfert. La présidente lui dit qu’il aura la parole en milieu de journée après le premier témoignage du jour. "Dans ce cas-là, je ne veux pas rester. Je veux quitter le box", a-t-il dit, avant de quitter la salle.

A 9h30, le Major Nicolas Jalet, responsable des pompiers de Bruxelles, a pris la parole. Il a fait un état des lieux des services de secours de Bruxelles. Il a expliqué comment ils sont intervenus le 22 mars. À quel moment précis? Comment ont-ils évacué les blessés et géré cette journée? Puis, les premières images ont été diffusées. "Il y aura des photos difficiles", a prévenu la présidente. Silence total dans la salle…

A Zaventem d’abord, le responsable des pompiers a raconté cette scène qui bouleverse encore les secours qui sont intervenus ce jour-là sur place. Celle de deux bébés, deux enfants, qui sont sur leur mère dans le hall de départ de l’aéroport. En pleurs. "Une image horrible. Une situation insupportable. Un état de confusion total", dit le responsable des pompiers. 

Puis il a abordé l’attentat à Maelbeek. Il est arrivé personnellement sur place moins de 14 minutes après l’explosion. "Quand nous entrons vers 9h20 dans la station, il y a des fumées lourdes. Une odeur âcre. Un état de silence absolu. Tout est très calme", raconte-t-il.

Il a poursuivi: "Le chauffeur du métro était sur le quai. C’était pour moi le héros de cette journée. Il était le dernier à être évacué. Il était comme un capitaine à bord de son navire. Il m’a dit: il n’y a plus de victimes à l’intérieur de la rame."

Un témoignage fort qui a fait revivre l’horreur de cette journée du 22 mars 2016.

À lire aussi

Sélectionné pour vous