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Opposant au pouvoir iranien, le réalisateur Jafar Panahi a consacré sa vie au cinéma en défiant la censure, parfois au prix de sa liberté, jusqu'à sa consécration par une Palme d'or à Cannes samedi.
Le dissident iranien Jafar Panahi a reçu la Palme d'or au Festival de Cannes samedi pour son film "Un simple accident", brûlot politique tourné clandestinement, envoyant à ses compatriotes un message pour "la liberté".
"Mettons tous les problèmes, toutes les différences de côté", a lancé aux Iraniens le cinéaste de 64 ans, qui a pu se rendre à Cannes pour la première fois depuis 15 ans. "Le plus important en ce moment, c'est notre pays et c'est la liberté de notre pays", a-t-il ajouté après avoir reçu son trophée, remis par l'actrice australo-américaine Cate Blanchett et la présidente du jury, la comédienne française Juliette Binoche.
"Le cinéma iranien a vécu beaucoup de chose pour en arriver là, déclare le cinéaste iranien Jafar Panahi, vainqueur de la palme d'Or, en conférence de presse. Tous mes collègues ont travaillé dans des situations même plus difficiles que moi. A l'époque, on ne connaissait pas le cinéma iranien dans le monde mais ils ont créé les fondations du cinéma iranien pour qu'on en arrive là aujourd'hui. Et maintenant, des amis plus jeunes ont continué leur chemin. Il faut qu'ils sachent qu'aucun pouvoir ne peut arrêter ce chemin parce que vous avez ce pouvoir de trouver une solution dans toutes les conditions compliquées et difficiles."
Un film tourné clandestinement
Thriller moral auscultant le dilemme d'anciens détenus tentés de se venger de leur tortionnaire, "Un simple accident" s'en prend aux forces de sécurité iraniennes.
Son film a été réalisé clandestinement, le cinéaste étant sous le coup d'une interdiction de tournage. Au mépris des lois de la République islamique, plusieurs de ses actrices apparaissent sans voile. L'agence de presse officielle iranienne Irna l'a toutefois salué samedi soir pour avoir "apporté la Palme d'or au cinéma iranien", 28 ans après Abbas Kiarostami.
Opposant au pouvoir iranien, le réalisateur Jafar Panahi a consacré sa vie au cinéma en défiant la censure, parfois au prix de sa liberté, jusqu'à sa consécration par une Palme d'or à Cannes samedi. "Je suis vivant parce que je fais des films", a-t-il déclaré pendant le festival.
Assigné jusqu'à récemment en Iran, interdit de tourner, le cinéaste de 64 ans, figure de la Nouvelle vague du cinéma iranien multiprimée à l'international, a pu faire le déplacement à Cannes (et dans un festival) pour la première fois depuis 15 ans.
Il a connu la prison
Son amour du cinéma, Panahi l'a plusieurs fois payé de sa liberté: il a été incarcéré à deux reprises, 86 jours en 2010 et près de sept mois entre 2022 et 2023. Il avait entamé une grève de la faim pour obtenir sa libération.
Derrière les barreaux, Panahi a trouvé l'inspiration pour son dernier film, dans lequel il dénonce l'arbitraire sans se mettre lui-même en scène comme dans ses précédentes réalisations. "Quand on met (un artiste) en prison, on lui tend une perche, on lui donne une matière, des idées, on lui ouvre un monde nouveau", a-t-il expliqué à Cannes.
Interrogé sur le fait de savoir s'il redoutait de retourner en Iran après la Palme d'or, le cinéaste s'est montré catégorique. "Pas du tout. Nous partons demain" dimanche, a-t-il déclaré.
Grand nom du cinéma iranien, comme Abbas Kiarostami dont il a été l'assistant au début de sa carrière, Jafar Panahi a vu ses oeuvres, interdites en Iran, régulièrement primées dans les plus grands festivals, de Cannes à Venise en passant par Berlin. Ne pouvant s'y rendre, sa chaise restait symboliquement vide.
Tourner clandestinement
La vie de ce fils d'artisan, né à Téhéran le 11 juillet 1960 et ayant grandi dans les quartiers pauvres de la capitale, a basculé en 2010. Il est alors condamné à six ans de prison pour "propagande contre le régime" après avoir soutenu le mouvement de protestation de 2009 contre la réélection de l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République islamique.
Il écope aussi de 20 ans d'interdiction de réaliser ou écrire des films, voyager ou s'exprimer dans les médias. Ces condamnations ne l'ont jamais empêché de continuer à filmer clandestinement.
Mais, dès lors, sa caméra se tourne "vers l'intérieur": Panahi se met en scène lui-même, montrant ses difficultés à tourner en cachette. Comme dans "Aucun ours", Prix spécial en 2022 à Venise, où on pouvait le voir diriger une équipe à distance via Zoom, de l'autre côté de la frontière turque.
Car Panahi ne s'est jamais non plus résolu à l'exil, préférant rester dans son pays envers et contre tout, pour scruter dans ses oeuvres les injustices sociales ou la place des femmes.
Soutenu à Cannes
Parmi ses films les plus acclamés figure "Taxi Téhéran", tourné depuis l'intérieur d'un taxi, pour lequel il a reçu l'Ours d'or à la Berlinale en 2015. Les conservateurs iraniens avaient fulminé.
Temple du cinéma, le Festival de Cannes le soutient et lui offre une tribune depuis ses débuts : son premier long métrage, "Le Ballon blanc", a reçu la Caméra d'or en 1995.
Le cinéaste s'est aussi vu décerner le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard en 2003 pour "Sang et or" et le Prix du scénario en 2018 pour "Trois Visages".
En 2012, Jafar Panahi a été colauréat, avec sa compatriote Nasrin Sotoudeh, avocate des droits humains, du prix Sakharov pour la liberté de l'esprit décerné par le Parlement européen.
Il a un fils devenu cinéaste, Panah. Son premier film, "Hit the Road", a été présenté en 2021 à la Quinzaine des cinéastes à Cannes.


















