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Caroline Fontenoy recevait le professeur Pierre Garin, qui enseigne l’anatomie générale pour les étudiants en médecine de l’Université de Namur. Il explique en quoi consiste réellement le fait de faire don de son corps à la science.
Caroline Fontenoy : Est-ce que c’est facile de donner son corps à la science ou cela demande des démarches spécifiques et beaucoup de paperasse de son vivant ?
Pierre Garin : C’est extrêmement simple. Il ne faut pas aller à la commune, il ne faut pas aller chez son notaire, il suffit de contacter l’université que vous avez choisie en téléphonant ou en envoyant un e-mail, et de dire « voilà, je souhaite donner mon corps à la science ». En réponse à ça, l’université va recontacter la personne. On va expliquer toute une série d’éléments à celui ou celle qui veut donner son corps. Et puis il y a un document à signer, très simple, que vous renvoyez à l’université et puis c’est tout. Et ce document en fait c’est un peu comme un testament où vous dites que vous souhaitez donner votre corps à l’université. Et à partir de là, le plus important en fait c’est de bien expliquer votre démarche à vos proches. Parce que le jour où vous décédez, personne ne nous prévient. La commune ne va pas nous prévenir, les pompes funèbres, l’hôpital, que sais-je. Donc si vous ne l’avez pas mentionné à votre famille, personne n’est au courant et on ne reçoit jamais le corps du défunt à ce moment-là s’il n’a pas suffisamment expliqué son souhait à sa famille. Parce que c’est vrai que pour les familles ça reste une situation difficile à vivre. C’est quand même un certain choc émotionnel pour eux.
Est-ce que c’est gratuit ?
Oui c’est gratuit. On ne vend pas son corps, on le donne gratuitement à la science. Ça varie un petit peu selon les universités, mais vous avez à Namur le choix entre ce qu’on appelle le retour famille, c’est-à-dire qu’après que les travaux scientifiques sont terminés, on prévient votre famille et la suite ça ressemble à un processus habituel. La famille choisit une entreprise de pompes funèbres et puis vous êtes enterré si vous l’avez souhaité, incinéré si vous le souhaitez, à tel ou tel endroit.
Alors entre le moment où la personne décède et le moment où on pratique des exercices sur son corps, il y a parfois un long délai. Ça veut dire que la famille ne récupère pas le corps tout de suite ?
Le corps reste à l’université entre quelques semaines et plus de deux ans. Avec une moyenne qui tourne à peu près à une année de séjour à l’université.
Philosophiquement c’est donc un peu compliqué pour la famille qui doit faire son deuil en deux fois…
Exactement, parce que quand la famille récupère le corps après, c’est une deuxième fois être confronté au décès de son proche. C’est une difficulté pour les familles. C’est pour ça qu’il faut vraiment bien l’expliquer de son vivant, parce que quand la personne l’a bien expliqué, alors c’est beaucoup plus facile pour ses proches.
Pourquoi est-on si peu au courant ? Par exemple quand on va chez son médecin généraliste, ce n’est pas quelque chose dont on parle régulièrement. Pourquoi on en parle peu ?
Je pense qu’il y a encore un certain tabou dans notre société à propos de la mort et qu‘un médecin parle avec son patient de son décès, de donner son corps à la science, ce n’est pas toujours évident de mettre ça dans la conversation. Il faut avoir une bonne connaissance de son patient. C’est souvent des personnes qu’on soigne depuis longtemps et quand ces personnes se rendent compte d’elles-mêmes qu’elles arrivent en fin de vie, là il y a parfois des moments qui se prêtent à ce genre de conversation.
Est-ce que tout le monde peut donner son corps à la science ou il y a des conditions ? Je pense par exemple à des gens qui décèdent d’une maladie assez grave, où le corps est assez détérioré…
En termes de maladie qui a causé le décès, non, il n’y a pas de restrictions. En fait, les restrictions sont vraiment techniques, c’est-à-dire que quand nous réceptionnons le corps, on l’embaume. C’est toute une série de procédés par des produits chimiques, pour que le corps puisse être conservé dans un état le plus proche possible de ce qu’il est sur le vivant. Mais pour faire ça, il faut agir vite. Quelqu’un qui est décédé dans un accident où le corps est vraiment brisé à de multiples endroits, on ne sait plus l’embaumer efficacement, là on ne prendra pas le corps. Quelqu’un qui a donné ses organes pour des greffes d’organes, après on ne prend pas ce qui reste du corps, parce que ce n’est plus possible de l’embaumer non plus. Mais pour le reste, vous mourrez d’un cancer avancé, on ne va pas refuser le corps pour autant. D’ailleurs, c’est aussi un peu un intérêt pour nos étudiants, c’est qu’ils puissent aussi avoir une première approche sur des tumeurs, voir comment est une prothèse de genoux, qu’est-ce qu’un pacemaker, comment ça se présente, où c’est positionné. C’est intéressant pour eux aussi.
Quels sont les arguments des personnes qui sont favorables pour donner leur corps ? Pour faire avancer la science ?
D’abord, pour les étudiants en médecine, c’est vraiment une étape indispensable dans leur formation. C’est indispensable sur le plan technique, mais aussi sur le plan humain. Parce que pour beaucoup d’étudiants, c’est la première fois où ils sont confrontés à une vraie personne décédée. Et même si ce n’est pas la première fois, tous les médecins se souviennent de leur première séance aux travaux pratiques. C’est quand même un certain choc de se retrouver dans cette situation. C’est impressionnant mais positivement impressionnant, parce que ça force à se poser des questions qui sont importantes vis-à-vis de l’envie qu’on a de devenir médecin, mais aussi de devoir être capable de faire face à des situations parfois très pénibles. Donc psychologiquement, c’est une étape importante dans leur formation. Et puis sur le plan purement technique, il n’y a rien qui puisse remplacer un vrai corps humain pour comprendre, pour voir l’anatomie, pour la comprendre dans les trois dimensions de l’espace, pas sur des schémas ou des choses qui sont à plat. C’est intéressant parce qu’on voit plusieurs corps et donc on voit les variations anatomiques, parce qu’il y a beaucoup de différences d’un individu à l’autre et ça, il faut l’appréhender aussi. Donc ça, c’est vraiment important pour les étudiants. Maintenant, c’est important aussi pour les médecins, une fois qu’ils sont diplômés, pour apprendre de nouvelles techniques. Nous avons eu des jeunes médecins qui se forment en médecine générale. Ils doivent apprendre à faire des infiltrations dans le genou, dans l’épaule. Ça, si vous vous exercez sur un vrai corps, c’est incomparable. Et puis pour des chirurgiens plus âgés aussi, une nouvelle technique apparaît, une nouvelle prothèse, un nouvel implant. Vous le faites d’abord sur un corps avant de l’appliquer en pratique sur vos vrais patients.
On n’en a pas assez pour le nombre d’étudiants ? On en manque ?
Ça varie d’une université à l’autre, mais c’est vrai qu’on est un peu ric-rac. D’autant qu’il y a de plus en plus de domaines dans lesquels on peut utiliser les corps. Donc tout ce qu’on peut obtenir de la part de nos concitoyens est le bienvenu.
Ça se fait toujours dans le respect de la personne ? Ce n’est pas dissocié de l’être humain que ça a été ? J’imagine qu’il y a quand même tout un respect autour de cette personne…
Absolument. On n’a jamais eu de problème avec nos étudiants à ce sujet-là. Ils sont très respectueux. Ils sont toujours encadrés par des médecins qui sont là comme collaborateurs didactiques. Et chaque année, nous organisons une messe d’hommage pour les familles, des personnes qui ont donné leur corps. Ce sont les étudiants qui organisent en grande partie cette célébration, où ils peuvent rencontrer les familles. Et c’est toujours un moment très émouvant et très apprécié des familles aussi.


















