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Contre le cancer et l'isolement, l'entraide des prostituées chinoises de Belleville

Sous son pull-over noir, Anan* cache un long combat, une cicatrice à la place du sein droit. Avant, cette prostituée chinoise, dépourvue de papiers, exerçait à Paris dans un salon de massage "privé". Mais depuis deux ans, dit-elle, "personne ne veut de moi".

Quartier de Belleville, Nord-Est de la capitale. Dans le local de l'association Roses d'acier, qui l'a soutenue le temps de sa convalescence, Anan, boule d'énergie de 54 ans, se souvient du jour où cette "balle de ping-pong" logée dans sa poitrine est devenue "cancer".

Le déni, d'abord, puis "un sentiment de solitude, d'impuissance", décrit-elle à l'AFP par l'intermédiaire de Ting, 40 ans, coordinatrice et interprète de cette association d'entraide entre travailleuses du sexe (TDS) chinoises.

Créée en 2014, les Roses d'acier compte aujourd'hui près de 200 membres, et est en lien avec plus du double dans l'Hexagone. Elle est notamment subventionnée par la fondation Médecins du monde et Sidaction.

Originaire du nord de la Chine, Anan est arrivée en France il y a neuf ans grâce à un visa touristique, après avoir perdu son emploi dans un supermarché. Sans papiers, ni notion de français, elle s'est mise à proposer, via internet, des massages aux prestations sexuelles tarifées, à domicile, dans un appartement parisien avec une consoeur.

Chaque mois, elle pouvait gagner jusqu'à 2.000 euros, en grande partie redirigés vers sa famille en Chine pour assurer l'avenir de son unique fils, âgé de 30 ans à présent.

Mais "quand tu es malade, personne ne veut de toi", résume Anan en référence aux clients, qui a ainsi dû s'arrêter de travailler pendant deux ans.

Sur cette période, l'aide médicale d'Etat (AME) - permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins - a couvert chimiothérapie, radiothérapie et autres frais liés à son cancer.

En revanche, elle n'a pu prétendre à un arrêt maladie.

Grâce au fonds d'urgence "U-Care" créé par les Roses d'acier en 2021, 200 euros lui ont été versés durant trois mois, puis 30 euros par semaine en tant qu'accueillante de l'association, dont les portes sont ouvertes à Belleville chaque mardi après-midi.

Les Roses d'acier épaule les femmes dans leurs démarches administratives, pour les rendez-vous à l'hôpital ou à la pharmacie, barrière de la langue oblige. Elles peuvent aussi y suivre des cours de français, ou s'informer sur leur maladie. Certaines sont atteintes de cancers de l'utérus, d'autres ont été victimes d'AVC.

- "Un endroit pour pleurer" -

En janvier 2023, Anan a pris sous son aile Xingfu*, 53 ans. Sans cils, ni sourcils, les deux femmes s'étaient "reconnues" lors des célébrations du Nouvel An chinois, sous leurs perruques respectives. Xingfu, elle, n'a plus de sein gauche.

En France depuis cinq ans, elle a d'abord travaillé en tant que nourrice avant que le Covid-19 n'assigne les parents à résidence. Ensuite, elle a également connu les "massages", avant le dépistage de son cancer en août 2022 dont sa famille en Chine n'a jamais rien su. "Je ne mettais plus ma caméra lorsqu'on se téléphonait à distance", relate-t-elle.

Les Roses d'acier a été son refuge: "J'avais un endroit pour pleurer", lâche-t-elle.

Et en dehors, Anan et Xingfu avaient le parc pour tricoter, le centre commercial pour flâner, loin des dortoirs à bas coût où les malades sont stigmatisés, disent-elles, et parfois rejetés.

Dans ces lieux mixtes, tenus par des Chinois et occupés par des membres de leur communauté, désargentés et souvent sans papiers, Xingfu raconte les "pressions collectives" envers ceux qui, malades, passent plus de temps au dortoir et sont accusés de consommer trop d'électricité, ou d'eau chaude.

Elle loge maintenant dans une chambre à l'écart, d'un mètre sur deux et sans fenêtre, pour 250 euros par mois.

Ses cheveux ébène, parsemés de mèches blanches, ont repoussé, et son cancer est aux dernières nouvelles en voie de guérison. Elle a aussi déniché un petit boulot, "instable".

Les "massages", plus lucratifs ? "Bien-sûr qu'on aimerait reprendre !", abondent les deux femmes. Mais il reste cette cicatrice. Et le rêve d'une reconstruction mammaire, dont le reste à charge reste onéreux, a vite été balayé.

De son côté, Anan assiste dorénavant des TDS chinoises dans leurs tâches ménagères.

A l'hôpital Tenon, en octobre, elle était accompagnée de Ting et de Xingfu lorsqu'elle est ressortie de la salle d'examen, soulagée d'apprendre que les "points noirs" avaient disparu: "C'est comme si j'avais vaincu une guerre".

*les prénoms ont été modifiés

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