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"La plus belle année de ma vie, comme chaque année", Jean-Marc Daubert accueille "en chaussons" au beau milieu de la nuit sur son chalutier L'Espérance accosté à Port-en-Bessin-Huppain (Calvados) pour la dernière pêche à la coquille Saint-Jacques d'une énième saison extraordinaire.
Arrêtée vendredi dans le gisement le plus prolifique au monde, la baie de Seine, la pêche à la coquille a encore battu des records avec 13.500 tonnes pêchées en Manche Est du 14 novembre au 16 mars, pour toutes les criées normandes de Dieppe à Granville.
C'est 15% de plus que l'an passé selon le comité des pêches, alors que les criées ne représentent que 40% du volume débarqué.
"C'est vraiment la jachère qui multiplie la ressource, le réchauffement climatique sans doute aussi" assure le "patron" de L'Espérance en quittant le port de nuit avec une trentaine d'autres chalutiers.
La jachère, c'est une zone tournante d'interdiction de pêche mise en place en collaboration entre l'Ifremer et les pêcheurs.
La baie de Seine, de Barfleur au Cap d'Antifer, est divisée en quatre tranches, dont une est fermée chaque année depuis 2016 pour permettre aux bivalves de mieux se reproduire.
Cette année c'est la zone 1, la plus à l'ouest, qui est fermée, obligeant les chalutiers du Cotentin, éloignés de Port-en-Bessin, à descendre vers le sud: il n'est pas 5h du matin et l'horizon est couvert de projecteurs.
"Les gars de Saint-Vaast arrivent", dit le patron en pointant les lumières au large, au chaud dans sa passerelle qui n'a rien à envier à un cockpit d'avion de ligne.
Radar, sondeur, bathymétrie, tables traçantes, radios, GPS, caméras pour manœuvrer les dragues, ce navire à deux millions et demi d'euros boxe dans la catégorie des moins de 15 mètres, pour un quota quotidien de 1.800 kilos.
Une quarantaine de bacs vides attendent les précieuses coquilles sur le pont arrière.
Il est 6h, les dragues s'éveillent: deux barres d'acier plongent à 20 mètres de profondeur pour piéger les coquilles sur le sable dans des anneaux métalliques et remonter 5 à 600 kilos par cycle.
- Gérer l'accès à la ressource -
Déchargé dans un vacarme assourdissant, le produit de la pêche, coquilles mais aussi mollusques, poissons et... cailloux, est trié par deux matelots sur un tapis roulant en 20 à 25 minutes.
Il y aura cinq rotations.
La récolte ne cesse de progresser depuis près de dix ans, et Eric Foucher, chercheur à la station Ifremer de Port-en-Bessin, sait pourquoi: c'est lui qui a mis en place la gestion de cette ressource.
"La pêche est limitée en nombre de navires, 220 licences pour la baie, dans le temps, quelques mois, quelques jours par semaine, quelques heures par jour", poursuit le chercheur interrogé par l'AFP.
Les dragues aussi: "Depuis 2020 les anneaux font 97 millimètres contre 92 auparavant, les coquilles de moins de deux ans restent désormais au fond pour se reproduire".
L'idée des jachères fut soufflée à l'homme par l'océan. "En 2011-2012, la baie a été fermée à cause d'une toxine, l'ASP (Amnesic Shellfish Poisoning, NDLR)" rappelle M. Foucher, "l'année d'après, il y avait plus de coquilles, et plus grosses".
Une zone est depuis mise en jachère chaque année, permettant une plus grande densité de coquilles au fond de l'eau, et donc une meilleure reproduction, qui entraîne... une plus grande densité: "en 2005 il y avait une coquille tous les 5 m2, en 2022 il y en avait une par m2, voire trois ou quatre par endroits".
La dernière drague est triée sur L'Espérance en fin de matinée au large d'Omaha Beach, dont le soleil réchauffe le sable rougi du sang américain le 6 juin 1944.
Les 40 bacs vides du pont arrière sont désormais remplis à ras bord, le quota de la saison est fait "plus rapidement et plus facilement que la saison dernière", conclut Jean-Marc Daubert, comme chaque année.