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Gabriel Fortin, ingénieur au chômage accusé d'avoir tué en 2021 deux anciens DRH qui l'avaient licencié et une cadre de Pôle Emploi, s'est présenté en victime au premier jour de son procès mardi devant les assises de la Drôme, après deux ans de silence face aux enquêteurs.
Son nez touche presque la vitre du box des accusés, le doigt pointe l'avocat général: "Levez-vous !", le harangue Gabriel Fortin en pleine diatribe. Immédiatement remis en place par le président de la cour d'assises. La faible voix de sa mère, à la barre des témoins, tente de le calmer.
Les familles et proches des victimes craignaient qu'il ne se taise, voire que son box reste vide, l'accusé ayant jusqu'à présent refusé de collaborer avec les enquêteurs. Mais au premier jour de son procès, alors que sa personnalité commence à être abordée, Gabriel Fortin, carrure épaisse, cheveux rasés masquant sa calvitie, a pris la parole. Véhémente, assurée.
"Je souhaite dire qu'il y a beaucoup de mensonges, dans la continuité des faits dont j'ai été victime. Tout cela a impacté ma vie personnelle, ma vie professionnelle", déclare-t-il dans un laïus déroutant.
Les "responsables" de sa situation ? Des "personnes en capacité d'agir" n'ayant pas donné suite à ses multiples requêtes après des échecs professionnels qui, selon les enquêteurs, ont nourri sa vengeance, notamment ses licenciements en 2006 et 2009. Et de citer les procureurs de Chartres, Valence et Nancy, "des députés, des ministres de la Justice" et le défenseur des droits.
Sa mère est la première à témoigner. A 78 ans, elle se déplace difficilement et a besoin de s'asseoir. Il est presque 16H00 lorsqu'après environ une heure de déposition, elle réalise que son fils est juste à côté, dans le box.
Elle le dévisage. Puis éclate en sanglots. "Vous souhaitez lui parler ?", demande le président. "Je veux bien".
"Explique leur pourquoi, pour les gens, tu sais. Ils ont besoin de savoir pour faire leur deuil, tu sais. Réponds bien aux questions qu'on te pose", implore-t-elle. Son fils a du mal à la regarder.
Imperturbable, il répète alors froidement sa précédente déclaration écrite sur une feuille. "L'affaire est finie", conclut-il en se rasseyant, sans un mot pour les familles des victimes ou sa mère.
Cette mère vue par certains comme sévère, qui encourage les études et le sport, décrit un enfant métis "attentionné" ayant grandi sans père, parti au Gabon.
Elle évoque le racisme à Nancy, où la famille habite. De son fils, elle dit qu'il est "distrait", "un peu imprévisible" quand il était jeune.
- "Paranoïa" -
Mère et fils étaient "fusionnels", selon une amie de la famille. "Proches", concède Olivier, le frère aîné, avec qui les relations étaient devenues distantes. Olivier qualifie de "délires paranoïaques" les envolées de son frère et l'attitude de sa mère, qui se sentait espionnée.
Alors qu'un avocat des parties civiles lui rapporte les précédentes déclarations de son frère en début d'audience, il répond: "je pense que cela relève de la psychiatrie", "mais je ne pensais pas que c'était un psychopathe à ce point".
Jugé pour trois assassinats, ainsi qu'une tentative d'assassinat, Gabriel Fortin encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Le 28 janvier, dans son périple sanglant, il avait successivement abattu Patricia Pasquion, cadre dans une agence Pôle Emploi de Valence, puis Géraldine Caclin, responsable des ressources humaines d'une entreprise ardéchoise avant d'être arrêté dans sa voiture.
L'enquête établit rapidement un rapprochement avec d'autres faits commis dans le Haut-Rhin: la mort d'Estelle Luce, le 26 janvier, tuée par balles dans sa voiture, puis, le même soir l'agression à son domicile de Bertrand M.
On apprendra plus tard que ces trois dernières victimes avaient été associées à deux licenciements de Gabriel Fortin, en Eure-et-Loir et en Ardèche en 2006 et 2009.
"Ca va au-delà de la question de la paranoïa, cette structure de la personnalité est mue par un environnement, et cet environnement va lui servir de justification. A la fin de cette journée on peut dire que le complotisme tue", a déploré Me Hervé Gerbi, conseil des soeurs de Pascale Pasquion, la victime de Valence.
L'une d'entre elles, Catherine Deloche, y voit "une astuce". "Je suis plutôt sur le fait qu’il était complètement lucide, qu'il a bien prémédité à l'avance les actes et que rien ne relève de la folie", a-t-elle réagi après l'audience.
"Il y a un discours qui a été écrit, bien rodé, je crains qu'il ne le resserve tous les jours", a confié de son côté Me Sophie Pujol-Bainier, avocate de la famille d'Estelle Luce.
Le verdict est attendu le 30 juin.