Accueil Actu Monde Europe

Ukraine: à Kherson, une jeunesse volée en quête d’évasion

"Mon enfance est perdue!": malgré son visage rond d'adolescente, Anastassia dresse un constat catégorique sur sa vie, avec une rare maturité pour cette Ukrainienne de 14 ans.

"Le Covid et la guerre m'ont volé une jeunesse qui aurait dû être heureuse", dit la jeune fille, suant dans un T-shirt Guns N'Roses trop grand, en jetant un sac de sport sur son dos.

Faute d'école, elle fréquente l'une des dernières salles de musculation de Kherson, seule "échappatoire" aux bombardements russes quotidiens sur cette ville du sud de l'Ukraine. "Ça me distrait de la guerre", explique-t-elle en quittant les lieux, les cheveux encore mouillés.

La salle, autrefois animée, a vu son public évoluer depuis l'invasion de Kherson en mars 2022 par les forces russes, puis sa libération il y a un an par l'armée de Kiev.

Entre haltères et sueur, la poignée de frêles adolescents jurent avec les quadragénaires musculeux et barbus qui soulèvent d'énormes poids.

"Je voudrais être avec des gens de mon âge, ceux que je côtoie sont deux ou trois fois plus âgés que moi", regrette Anastassia, dont de nombreux amis ont quitté la région.

Dehors, les rues sont vides et les cafés principalement fréquentés par des militaires en treillis.

- Marquée "à vie" -

Dans l'un de ces bars, Anastassia serre dans ses mains son téléphone, sur lequel elle reçoit ses cours et des nouvelles de ses proches.

Elle rêve d'une vie sociale hors ligne. "J'aimerais enfin voir des gens. Quand je suis allée à Mykolaïv pour la journée, j'ai été surprise de voir de la vie", dans cette ville à 60 km au nord-ouest, dit-elle.

Elle tente aussi de s'évader en faisant du théâtre, malgré l'interdiction de se rassembler à cause des menaces de missiles. "On se réunit seulement en petits groupes pour répéter. C'est intéressant de ressentir d'autres émotions, de jouer le rôle d'une autre personne."

La peur durant l'occupation, le stress des bombardements, la joie de la libération, "ce sont des émotions inoubliables" pour Anastassia, qui l'aident à trouver le ton juste pour jouer, mais qui la marqueront "à vie".

"Les jeunes ne sont pas censés savoir ce que ça fait quand des proches meurent", ajoute-t-elle, amère.

A-t-elle grandi trop vite ? "C'est indiscutable", tranche-t-elle. "Avant, je réfléchissais aux tenues que je voulais porter, aujourd'hui je pense à ce qu'il faut faire sous le feu de l'ennemi. J'ai appris à repenser ma vie en général".

Elle espère un avenir sans guerre, pour elle et l'enfant qu'elle aimerait avoir. "Je ne pense pas que l'avenir soit meilleur que celui que j'ai connu il y a quelques années", conclut-elle.

À Kherson, bordée par le fleuve Dniepr devenu la ligne de front, les lieux de loisirs pour les jeunes sont rares. Les endroits les plus fréquentés sont les quelques cafés de la rue Iliucha Kulyk, dans le centre.

- Ne pas rester enfermé -

La nuit tombe vite, l'avenue est vide et triste, enveloppée d'un épais brouillard, seulement éclairée par les phares de voitures et les enseignes des rares magasins encore ouverts.

Une tache lumineuse se distingue cependant, la terrasse du café "Ciao Cacao", où travaille Dima, 18 ans, quand il n'est pas chez lui à jouer au jeu vidéo Counter Strike.

Ce soir-là, le jeune homme blond discute avec son groupe d'amis. Ils prennent des selfies, rient, parlent de leurs maisons détruites par les frappes.

"On sort malgré les bombes. On ne veut pas rester enfermés", explique Dima.

Il a décidé d'intégrer l'école de la marine militaire après avoir d'abord songé à quitter le pays. "Partir, c'est moche. C'est une trahison", juge-t-il.

"C'est une guerre politique. Ça me tombera dessus à un moment donné. Je n'ai de toute façon rien d'autre à faire", lâche-t-il.

Ils ont aussi l'impression d'avoir grandi trop vite. "Les adultes disent qu'à 18 ans, on ne sait rien", s'emporte le jeune homme, "mais avec ce qu'il se passe, je pense que j'ai assez d'expérience pour comprendre ce qu'est la vie".

Leur vision du futur est pragmatique. Si Dima se voit sur le front, son ami Anton, 18 ans, ne rêve que d'une chose : "Je veux travailler et gagner de l'argent pour reconstruire ma maison".

À lire aussi

Sélectionné pour vous