Partager:
La sécheresse menace le trafic maritime dans le Canal de Panama, passage obligé pour 6% du trafic maritime mondial entre océans Atlantique et Pacifique.
Deux lacs artificiels, celui d'Alhajuela et le lac Gatun, fournissent le canal en eau, nécessaire au fonctionnement des écluses. Mais leur niveau a drastiquement baissé en raison de la sécheresse qui frappe le bassin hydrographique.
"Le lac Alhajuela manque d'eau chaque jour davantage", constate Leidin Guevara, 43 ans, qui vient y pêcher deux fois par mois. C'est sur le gigantesque lac Gatun que naviguent les navires qui transitent d'une côte à l'autre.
Face à cette situation, l'Autorité du Canal de Panama (ACP), pour la cinquième fois durant cette saison sèche, a dû limiter l'accès à la voie interocéanique par où passent 6% du commerce maritime mondial, principalement des Etats-Unis, de Chine et du Japon.
Les deux lacs fournissent l'eau permettant le fonctionnement des énormes écluses qui, côté Pacifique comme côté Atlantique, hissent les navires jusqu'au niveau du canal, ou les font descendre à celui des océans. A chaque passage de navire, ce sont ainsi environ 200 millions de litres d'eau douce qui sont déversés dans la mer.
"L'absence de pluies impacte d'abord nos réserves d'eau", explique à l'AFP Erick Cordoba, le directeur en charge de l'eau à l'ACP. En conséquence, les navires de classe Neopanamax -les plus grands, avec un tirant d'eau d'un peu plus de 15 mètres en eau douce, et qui acquittent les péages les plus chers-, ne peuvent plus passer, ajoute-t-il.
Durant l'année fiscale 2022, plus de 14.000 embarcations transportant un total de 518 millions de tonnes de cargaison, sont passés par le Canal, rapportant 2,5 milliards de dollars à l'Etat du Panama.
- Les voyants au rouge -
Tous les voyants sont passés au rouge pour la première fois en 2019 : le Canal ne disposait plus que de trois milliards de mètres cubes d'eau douce alors qu'il lui en faut un peu plus de 5,2 milliards pour fonctionner.
Depuis, les autorités panaméennes craignent que des armateurs ne recherchent d'autres routes alternatives en raison des incertitudes qui planent sur la possibilité de passer par le Canal.
L'administrateur du Canal, Ricaurte Vasquez, a reconnu récemment auprès du média panaméen d'information sur internet SNIP Noticias que le manque d'eau est la principale menace pour le trafic par la voie transocéanique.
"Sans une réserve qui apporte de nouveaux volumes d'eau, cette situation empêchera la croissance" de l'activité du Canal, dit à l'AFP Jorge Quijano, ancien administrateur de la voie maritime.
"C'est essentiel de trouver de nouvelles sources d'eau alors que le changement climatique se fait déjà sentir, non seulement dans notre pays, mais partout dans le monde", ajoute-t-il.
- Manifestations pour l'eau potable -
Le bassin hydrographique du Canal fournit également de l'eau douce à plus de la moitié des 4,3 millions d'habitants du Panama.
Déjà, la sécheresse a causé des coupures d'eau courante dans plusieurs zones du pays. Des habitants ont manifesté et les experts craignent des conflits entre les usagers et le Canal autour duquel la ville se développe sans réel plan d'urbanisme, faisant exploser les besoins en eau potable.
"Nous ne voulons pas en arriver à un conflit philosophique entre l'eau pour les Panaméens et l'eau pour le commerce international", avertit Ricaurte Vasquez.
Le Bureau du médiateur du Panama a exhorté mardi dans un communiqué le gouvernement à "garantir l'accès à des services de distribution d'eau abordables et fiables" car il s'agit de "droits humains fondamentaux".
Certes, le Canal a souffert d'un "déficit de précipitations comme le reste du pays, mais dans les limites normales d'une saison sèche" tropicale, affirme à l'AFP Luz de Calzadilla, directrice de l'Institut météorologique de Panama.
Cependant, prévient-elle, "il est hautement probable" que le Panama sera touché durant la seconde moitié de l'année par le phénomène climatique du Niño, caractérisé par une baisse de la pluviométrie.
"A dire vrai, l'administration du Canal fait des miracles afin de maintenir l'activité commerciale tout en faisant face à sa responsabilité sociale qui est de fournir de l'eau potable pour la consommation humaine", remarque Mme de Calzadilla.
De son côté, Leidin Guevara, le pêcheur du lac Alhajuela, avertit sur fond de chants d'oiseau : "cette année c'est la pire sécheresse que j'ai vue".