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Importé d'Italie et des Etats-Unis, le statut de repenti à la française a ouvert une brèche dans l'omerta qui règne sur le crime organisé mais le texte est resté à mi-chemin, de l'avis de plusieurs experts, en excluant les auteurs ou complices d'assassinat.
Créé en 2004 par la loi Perben, mais en vigueur depuis mars 2014 seulement, ce dispositif d'"exception" permet d'offrir au repenti - voire à son entourage proche - une nouvelle identité, une protection policière, une aide financière - qui diminue au fil du temps - et enfin des exemptions ou des réductions de peine devant les tribunaux.
Ce sont les policiers du très sensible Service interministériel d'assistance technique (Siat) qui évaluent la réalité des menaces qui pèsent sur eux, la qualité des informations qu'ils peuvent délivrer et leur capacité à accepter les contraintes fortes de ces "programmes" pour leur nouvelle vie.
Le nombre de repentis, ou plus officiellement "collaborateurs de justice", est confidentiel mais, de source proche du dossier, seules une dizaine de personnes seraient aujourd'hui concernées.
"C’est un outil remarquablement efficace dont l’emploi n’est pas à la mesure de la menace projetée par le haut du spectre de la criminalité organisée", résume à l'AFP le haut magistrat Bruno Sturlèse, président de la "Commission nationale de protection et de réinsertion des repentis", chargée d'accorder le statut.
Arrivé à la fin de son mandat, cet avocat général à la Cour de cassation - qui alertait déjà en 2018 sur les "lacunes préjudiciables" du texte - a réitéré dans un rapport révélé par Le Monde ses critiques contre le dispositif qui exclut les personnes directement ou indirectement impliquées dans un assassinat.
"On ne veut protéger que des gens qui n’ont pas de sang sur les mains", se désole-t-il, évoquant un "vice rédhibitoire".
"Les difficultés pointées par le rapport sont connues et une réforme du statut est à l’étude", a assuré à l'AFP la Chancellerie, comme il y a cinq ans.
- "Bataille morale" -
L'outil, encore récent, a néanmoins déjà donné des "résultats spectaculaires", reconnaît M. Sturlèse.
En 2022, la justice a condamné définitivement Eric Coppolani à 30 ans de réclusion pour l'assassinat en 2010 d'Antoine Nivaggioni, ex-figure du nationalisme corse. Les magistrats se sont notamment servis des révélations de Patrick Giovannoni, ex-petite main de la bande ajaccienne du Petit Bar et premier repenti de France.
M. Giovannoni, qui avait obtenu le statut dans un autre dossier, n'avait écopé que de cinq ans d'emprisonnement avec sursis.
Le témoignage d'un autre repenti a également permis la mise en cause du clan des frères François et Nicolas Bengler - considérés comme des figures centrales de la guerre de la drogue à Marseille jusqu'à leur incarcération en 2016 - dans un assassinat sordide remontant à 2010. Un cas qui doit encore passer l'épreuve du procès.
Par ailleurs, l'apport d'un repenti ne se limite pas à l'affaire pour laquelle il obtient le statut. Les policiers s'attachent à purger tout son parcours criminel.
"Un repenti vous donne les clefs de l’organisation, ses financements, ses organigrammes, tous les coups qu’ils ont faits", explique M. Sturlèse. "C'est une arme atomique."
Enfin, les policiers du Siat "ont protégé sans faille" ceux qui ont brisé l'omerta, souligne-t-il. "C'est indispensable car sinon, c'est tout le système qui s'effondre".
"Je suis convaincu de l’utilité du système, surtout quand on voit les criminalités aux portes de notre pays", estime un magistrat, désignant la Belgique ou les Pays-Bas.
Mais pour certains, le programme présente "trop d'insécurité" judiciaire: "quand vous faites entrer quelqu’un dans un programme, vous êtes bien en mal de lui dire ce qui va lui arriver au bout", reconnaît le même magistrat.
Un repenti a ainsi reçu une peine plus lourde que la tête de réseau dans un dossier de stupéfiants, selon une information du Monde et de l'Obs, confirmée à l'AFP de source proche du dossier.
"Il y a une bataille morale à mener. Des magistrats, voire des policiers, ont l’idée que lorsqu’on participe à la manifestation de la vérité, on n’a pas à bénéficier de mesures de réduction de peine car on a été criminel, on doit payer", déplore Fabrice Rizzoli, enseignant à Sciences Po, spécialiste de la criminalité organisée.