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Un caddie rempli de déchets: sous l'eau turquoise de Grèce, la difficile lutte contre le plastique

Antigone Kouteri remonte sa combinaison de plongée, arrange le tuba puis le masque, avant de se jeter dans les eaux du port de Zakynthos, à la recherche de plastiques qui jonchent les fonds marins de ce coin de Grèce.

Elle fait partie d'une dizaine de plongeurs bénévoles de l'association Aegean Rebreath, qui sillonne îles et côtes grecques pour préserver la biodiversité en ramassant les déchets, surtout plastiques. Située en mer Ionienne, l'île de Zakynthos (ou Zante) est réputée pour ses eaux bleues et son "parc marin" où se reproduisent les tortues de mer Caretta caretta.

"La visibilité est nulle, on est dans le noir, je me suis cognée le bras contre un objet", dit Antigone, 40 ans, en sortant la tête de l'eau. "C'est un pneu", répond Efthymis, plongeur professionnel, qui fait surface en tenant une bouteille de bière vide. "Santé", plaisante-t-il.

Plus loin, deux plongeurs ont extrait des filets de pêche emmêlés à quatre mètres de profondeur, puis une poubelle métallique.

Trois heures plus tard, sur le quai s'entassent quatre pneus, des dizaines de bouteilles plastiques, des boîtes métalliques, des sacs plastiques, un réverbère, deux caddies, des kilomètres de filets de pêche ou de tuyaux. Avec un littoral de 14.000 km, l'un de plus longs de la Méditerranée, la Grèce attire des dizaines de millions de touristes chaque année.

Mais la Méditerranée a déjà atteint un "niveau record de pollution avec 570.000 tonnes de plastique déversés chaque année", selon un récent rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF).

 

68 kg de déchets par habitant chaque année

La Grèce produit 700.000 tonnes de déchets plastiques par an, soit 68 kg par habitant. Et 11.500 tonnes échouent en mer, selon l'ONG. "Sous les eaux bleues, il y a un dépotoir", s'indigne Violetta Walczyk, 44 ans, une avocate gréco-polonaise, militante de l'Aegean Rebreath, adepte aussi du mouvement "zero waste" (zero gaspillage).

Pendant ses deux ans d'action, l'association a recensé 9.000 bouteilles d'eau, 3,6 tonnes de filets de pêche, 289 pneus jonchant les fonds et les côtes du pays.  "Plus de 70% des déchets marins sont des plastiques en Grèce et si des mesures ne sont pas prises, la situation va empirer", prévient Katerina Tsagari, chercheuse à l'Institut océanographique grec (HCMR), qui analyse le pourcentage de microplasiques dans les entrailles des poissons et des tortues de mer.

"Nous avons découvert des déchets plastiques ingérés dans 20 à 45% des poissons et moules testés", précise-t-elle.

Les gros objets plastiques changent la morphologie des fonds et dressent des pièges pour poissons, coquillages ou tortues.

"Trente-neuf tonnes de déchets plastiques par jour échouent en mer", admet le gouvernement, qui a récemment lancé une campagne contre l'usage des produits plastiques à usage unique, comme les gobelets plastiques et les pailles qui sont monnaie courante dans le pays du café "frappé".

Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a indiqué lors d'un entretien à l'AFP début octobre, que la protection de la mer était "une priorité dans un pays dont l'économie dépend du tourisme".

Le recyclage en Grèce est une blague

Mais pour les experts, l'origine du problème réside dans l'inefficacité du recyclage des déchets. En 2011, l'effondrement d'une décharge illégale sur l'île cycladique d'Andros a fait scandale.

Le pays continue à payer des amendes infligées par la Commission européenne pour ses dépotoirs non autorisés, rappelle Achilleas Plitharas, un responsable de la section grecque de la WWF.

"Le recyclage en Grèce est une blague", ironise George Sarelakos, co-fondateur de l'Aegean Rebreath. "Chaque mairie suit sa propre politique sans stratégie commune à travers le pays", estime-t-il. A la traîne en Europe en la matière, la Grèce n'a adopté la directive sur les sacs plastiques de caisse payants qu'en 2018.

"Il faut développer une politique favorable à la réutilisation des déchets dans le cadre de l'économie circulaire et pour cela il faut aussi la volonté politique", souligne George Triantafyllou, directeur des recherches au HCMR.

Depuis 2017, le HCMR est le coordinateur du projet européen CLAIM, dont l'objectif est le nettoyage des mers d'Europe, en appliquant des méthodes innovatrices pour réduire ou éliminer les microplastiques. "Changer les habitudes, utiliser moins de plastique au quotidien: les initiatives européennes existent, on n'a qu'à les suivre", préconise George Triantaphyllidis, hydrobiologiste.

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