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"War games": des jeux pour apprendre (vraiment) la guerre

Jouer pour apprendre, c'est la philosophie de base des pédiatres, mais voilà que les militaires s'en mêlent... Des jeux de guerre fort sophistiqués, avec dé, cartes et plateau, sont de plus en plus utilisés pour préparer les décideurs aux conflits et situations de crise.

Les "War games" n'ont rien du passe-temps des fins de journées pluvieuses. Nés en Europe à la fin du XVIIe siècle, ils se sont complexifiés et acquis leurs lettres de noblesse.

La discipline avait pris ses quartiers lundi à l'Ecole militaire, près des Invalides à Paris. Attaque cyber, chef de gouvernement déstabilisé, pandémie mondiale ou bataille décisive en Syrie: il s'agit de faire jouer des officiers, chercheurs, étudiants ou hauts fonctionnaires sur une situation de crise passée, présente ou plausible.

Les convertis sont dithyrambiques. "Les war games sauvent des vies", affirme Matthew B. Caffrey, figure de la discipline aux Etats-Unis et membre du laboratoire de recherche de l'US Air Force. Selon lui, 24 des 25 plus grosses armées du monde se sont converties. "Il ne s'agit donc plus de jouer, mais de jouer plus souvent que vos adversaires".

A deux reprises, en 1990 et en 2003, le Pentagone a défini son intervention militaire en Irak après l'avoir testée sur des jeux. Des exercices proches de "Fitna, global war in the Middle East", conçu par Pierre Razoux, directeur de recherche à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM).

Un plateau, des pions incarnant armées régulières et milices, des cartes fournissant frappes de drones, mines artisanales et lance-roquettes. On compose avec l'intervention du Conseil de sécurité de l'ONU. Et on joue un assaut sur un jet de dé, dont le résultat est pondéré par de multiples critères de rapports de force.

- "Comme dans la vraie vie" -

Pierre Razoux a dirigé le jeu 220 fois et a défini une douzaine de scénarios possibles. L'un d'entre eux se déroule en Syrie: cinq équipes de deux ou trois personnes interprètent forces d'Assad, Iran, Turquie, Russie et Israël, dépourvue elle d'armée sur le terrain mais soutenue par Washington. Chaque pays poursuit un objectif secret avec une batterie de contraintes.

"La Russie ne peut pas franchir la frontière turque, sinon c'est la 3e guerre mondiale et on change de jeu", explique Pierre Razoux aux joueurs, avec un brin d'ironie. "Tout le monde peut perdre, tout le monde peut gagner. Comme dans la vraie vie", insiste-t-il.

En 3h de jeu, les acteurs auront simulé dix mois de guerre, des offensives, des bombardements, des coups d'arrêt, des alliances et contre-alliances, des tractations et des renoncements.

"On dit aux joueurs: vous allez vous mettre dans la peau de votre pire adversaire", explique le chercheur, fin connaisseur du Moyen-Orient. "On n'est plus dans le ludique, mais dans la formation professionnelle." Et les joueurs, assure-t-il, "ne verront plus la Syrie de la même manière".

Elysée, cabinets, chefs d'armée, services, tout le monde est désormais invité. Patrick Ruestchmann, président de Serious Games Network-France, a récemment fait jouer une centaine de personnes de la cellule interministérielle de crise sur la sécurité entre la fin des JO-2024 et le début des Paralympiques.

"Ca aide à penser autrement, on décale sa position", relève-t-il. "C'est beaucoup plus efficace que trois heures de Power Point. Bouger un pion, c'est plus engageant que de cliquer sur une tablette".

Plus les groupes sont mélangés, plus les acteurs sont confrontés aux biais cognitifs. Mais la comédie humaine est à pied d'oeuvre: le pouvoir se prête parfois mal à la pantomime.

"Je n'ai jamais réussi à faire jouer un préfet autre chose qu'un préfet", s'amuse Patrick Ruestchmann. "Les diplomates sont les plus absents. Certains ont tendance à voir le monde tel qu'ils voudraient qu'il soit", persifle quant à lui un habitué de l'exercice.

De fait, les sceptiques restent nombreux. "On est en phase d'évangélisation, alors que les simulateurs sont là depuis des années", constate le lieutenant-colonel Arnaud de Peretti, du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) des armées.

"Vous avez encore des réactions du type +ce n'est qu'un jeu, c'est puéril, ça n'arrivera jamais+", regrette-t-il. Il est pourtant formel: "L'intérêt c'est de se trouver tous assis autour d'une table, d'entrevoir des hypothèses auxquelles on n'avait pas pensé. Les surprises stratégiques, ça existe".

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